Facteurs de risque de délinquance chez les jeunes Canadiens: état actuel des connaissances et orientations futures

Annie K. Yessine, Ph. D.
Rapport de recherche : 2011-05

Résumé

Cet article fait la synthèse de l’état actuel des connaissances à partir d’études canadiennes qui s’intéressent aux facteurs de risque liés à la délinquance. Plus précisément, il présente la manière dont les tendances criminelles diffèrent au fil du temps chez les individus et quels facteurs sont associés aux différents cheminements. Cette synthèse prend appui sur la dynamique créée par des travaux récents d’importants chercheurs canadiens sur les trajectoires criminelles liées au développement et sur la détermination, l‘évaluation et la prévision du risque. De telles connaissances sont nécessaires afin de guider l’élaboration des politiques et des pratiques et de proposer des interventions efficaces en matière de criminalité juvénile. Un examen de la littérature actuelle révèle également que les chercheurs et les décideurs au Canada doivent créer et soutenir des stratégies de recherche qui contribuent davantage à notre compréhension de la délinquance juvénile et des mesures nécessaires pour prévenir et réduire efficacement la criminalité juvénile.

Introduction

La Stratégie nationale pour la prévention du crime repose sur le principe selon lequel « la meilleure façon de réduire la criminalité est de se concentrer sur les facteurs qui constituent un risque pour les personnes ». Cette affirmation est fondée sur la recherche empirique réalisée au cours des dernières décennies et a mené à la proposition consensuelle selon laquelle une série de facteurs connus exposent certains jeunes à un plus grand risque que d’autres de manifester un comportement délinquant et antisocial. Pour certains d’entre eux, l’entrée dans le système de justice pénale pour adolescents mènera au système pour adultes. Selon certaines études, environ 5 % à 15 % des jeunes qui entrent dans le système de justice deviennent des auteurs d’infractions graves dont la trajectoire criminelle est plutôt longue (par exemple, Day, Nielsen, Ward, Rosenthal, Sun, Bevc et Duchesne, 2011; Yessine et Bonta, en cours de publication). De même, des données scientifiques laissent croire que bon nombre de délinquants adultes ont commencé leurs activités criminelles en tant que jeunes délinquants. Par exemple, les données sur l’évaluation du risque recueillies en Ontario indiquaient que 43,6 % de 955 détenus avaient été arrêtés avant l’âge de 16 ans (Andrews, Bonta et Wormith, 2004). Il est de ce fait important de cerner rapidement ceux qui courent un risque élevé de commettre des crimes graves et de récidiver afin que des stratégies d’intervention puissent être élaborées pour les empêcher de basculer dans une longue carrière criminelle.

Un certain nombre d’études canadiennes ont visé à déterminer les facteurs de risque liés aux crimes graves et à la récidive dans les premières étapes de développement. Certaines d’entre elles ont également exploré les différentes trajectoires criminelles chez les jeunes au cours de leur vie. Les conclusions de ces études sont importantes sur le plan théorique de même que pour l’élaboration de politiques en matière de prévention du crime en général. Le présent article fait la synthèse de l’état actuel des connaissances à partir d’études canadiennes sur la détermination, l’évaluation et la prévision du risque de délinquance chez les jeunes, en prêtant une attention particulière aux facteurs de risque de délinquance.

Contexte de l’examen actuel

En mai 2009, le Centre national de prévention du crime a organisé une table ronde à laquelle ont participé différents experts et chercheurs du domaine de la criminologie afin de faire le point sur les résultats d’études canadiennes et étrangères sur les facteurs de risque associés à la criminalité juvénile et aux trajectoires de délinquance. L’objectif de cette table ronde était de déterminer de quelle façon ces connaissances permettaient de repérer les enfants et les jeunes à risque de commettre des infractions et de quelle façon elles pouvaient contribuer à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une intervention efficace afin de prévenir et de réduire les crimes graves et la récidive au Canada. La table ronde a conduit à une série de rapports de recherche découlant des conclusions d’études canadiennes sur les jeunes risquant de commettre des infractions. Les rapports qui étaient axés sur les facteurs de risque de délinquance chez les jeunes Canadiens constituent les fondements de la présente synthèse.

Recherche canadienne sur les trajectoires de délinquance et les facteurs de risque chez les jeunes

Les études présentées abordent les trajectoires de délinquance liées au développement ainsi que la détermination et l’évaluation des facteurs de risque dans la prévision du comportement délinquant chez les jeunes.

Trajectoires de délinquance

Un projet de recherche en cours mené par Day et ses collaborateurs (Criminal Trajectory Study of the Toronto Sample) a examiné les trajectoires criminelles de deux sous-échantillons de jeunes Ontariens qui ont fait l’objet d’une décision judiciaire au cours de plusieurs périodes de suivi. Ensemble, les deux sous-échantillons forment une population totale de 764 délinquants de sexe masculin âgés de 16 et 17 ans qui ont purgé une peine entre le 1er janvier 1986 et le 30 décembre 1997 dans un établissement de garde en milieu ouvert (foyer de groupe) à Toronto. L’échantillon A comprenait 378 jeunes et l’échantillon B (échantillon de répétition), 386 jeunes. Grâce aux dossiers officiels, les antécédents criminels des jeunes ont été retracés depuis la seconde enfance/le début de l’adolescence jusqu’au début de la trentaine. Dans l’étude initiale (Day, Bevc, Theodor, Rosenthal et Duchesne, 2008), les 378 jeunes de l’échantillon A ont été suivis pendant une moyenne de 12,1 ans. Dans une étude de suivi (Day et coll., 2011), les jeunes de l’échantillon A ont été suivis pendant une période supplémentaire de six ans en moyenne; les tendances en matière d’activités criminelles des 386 jeunes de l’échantillon B ont également été examinées pendant une période de 16,4 ans en moyenne.

Dans l’étude initiale, les analyses ont révélé quatre groupes de trajectoires de délinquance au sein de l’échantillon A. Dans l’étude de suivi, qui a observé l’activité criminelle des jeunes pendant une période prolongée, huit groupes de trajectoires ont été isolés au sein de l’échantillon A. Des résultats semblables ont été obtenus pour l’échantillon B, et sept groupes de trajectoires de délinquance ont été cernés. Les trajectoires variaient pour ce qui est du taux et de la durée de l’activité criminelle. Par exemple, dans la seconde étude, l’échantillon A comportait trois groupes de trajectoires de délinquance présentant un taux faible (taux faible – pointe à l’adolescence, 16,4 %; taux faible – chroniques, 26,2 %; taux faible – renonciateurs, 28 %), quatre ayant un taux modéré (taux modéré – augmentation, 2,9 %; taux modéré – pointe à l’âge adulte, 4,5 %; taux modéré – chroniques I, 5,3 %; taux modéré – chroniques II, 11,9 %) et un affichant un taux élevé (taux élevé – pointe à l’adolescence, 4,8 %). Pour l’échantillon B, deux groupes de trajectoires de délinquance présentant un taux faible (taux faible – renonciateurs, 29,8 %; taux faible – chroniques, 32,4 %), trois ayant un taux modéré (taux modéré – chroniques I, 3,6 %; taux modéré – pointe à l’adolescence, 11,7 %; taux modéré – chroniques II, 14,2 %) et deux affichant un taux élevé (taux élevé – pointe à l’âge adulte, 3,9 %; taux élevé – pointe à l’adolescence, 4,4 %) ont été observés. Un examen des variables se rapportant aux infractions donnait à penser qu’un petit nombre de jeunes avaient commis un nombre disproportionné de crimes. De plus, les conclusions laissaient croire que le nombre de groupes de trajectoires augmentait en fonction de la durée des périodes de suivi, ce qui était prévu puisque l’ajout au fil du temps de données relatives aux infractions criminelles tend à modifier la forme et la distribution des trajectoires criminelles initiales.

Une autre étude (Yessine et Bonta, en cours de publication) a examiné les trajectoires criminelles de 514 jeunes de sexe masculin et féminin âgés de 12 à 19 ans, qui ont été condamnés à une peine probatoire au Manitoba de 1986 à 1991. La carrière criminelle des jeunes a été suivie jusqu’en 2005, pendant des périodes allant de 14 à 19 ans. Les résultats ont révélé deux principales trajectoires de délinquance. Un groupe représentant approximativement 13 % des délinquants présentait un comportement délinquant de type chronique à criminalité élevée tout au long de la vie. La fréquence ou la gravité des crimes du groupe augmentait constamment à partir de l’adolescence. Le reste de l’échantillon (87 %) était caractérisé par une manifestation sporadique ou moins grave du comportement criminel au cours des années. La tendance criminelle du dernier groupe demeurait stable, même s’il tendait à présenter une légère diminution sur le plan de la fréquence ou de la gravité à partir de l’âge de 26 ans. Une minorité de délinquants classés dans le groupe de trajectoire de type chronique à criminalité élevée (13 %) commettait de manière disproportionnée une plus grande gamme d’infractions de même que davantage de crimes violents.

Utilisant un sous-échantillon de l’étude susmentionnée, Yessine et Bonta (2009) ont poursuivi l’examen des trajectoires de délinquance de jeunes Autochtones et les ont comparées à celles de jeunes non-Autochtones. Les conclusions étaient très semblables à celles de l’étude originale : une petite proportion des délinquants présentaient un comportement délinquant grave et persistant au cours de leur vie, et une majorité de jeunes probationnaires participaient à des activités criminelles relativement moins fréquentes ou moins graves au fil du temps. Cependant, la taille du groupe de trajectoire de type chronique à criminalité élevée était légèrement plus grande chez les délinquants autochtones (18,7 %) que chez les délinquants non autochtones (12,3 %).

Finalement, des chercheurs (Craig, Schuman, Petrunka, Khan et Peters, 2011) ont tenté de déterminer les trajectoires de délinquance précoces chez les filles et les garçons de la troisième à la neuvième année (âgés de 8 à 14 ans). Pour ce faire, ils se sont servis d’un échantillon de 842 écoliers participant au projet de recherche de grande envergure Partir d’un bon pas pour un avenir meilleur, mené par l’Université Queen’s et le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse de l’Ontario. Craig et ses collaborateurs ont décrit six trajectoires de délinquance distinctes : deux groupes affichant un taux plus faible de criminalité et représentant légèrement plus de 80 % de l’échantillon, deux groupes de renonciateurs présentant un taux élevé de criminalité (13 %), les enfants qui présentaient un faible taux de délinquance à l’âge de huit ans, mais dont la criminalité a augmenté au fil du temps (3,5 %) et un groupe affichant un taux élevé de criminalité qui présentait un taux plus élevé de criminalité dans les premières années et qui maintenait un taux élevé de criminalité pendant l’adolescence (1,5 %).

Facteurs de risque de délinquance

En plus d’explorer les trajectoires de délinquance, le projet de recherche mené par Day et ses collaborateurs (2208; 2011) a déterminé des variables prédictives durant l’enfance et des corrélats à l’adolescence de l’appartenance à un groupe de trajectoire. Ces facteurs de risque et de protection relatifs à l’enfance et à l’adolescence ont été révélés par l’étude des dossiers de clients et tenaient compte des domaines personnel, familial, lié aux pairs et scolaire. Les analyses ont permis de constater certains chevauchements, mais aussi certaines différences entre les facteurs de risque associés à l’enfance et ceux associés à l’adolescence permettant de distinguer les groupes de trajectoires à criminalité élevée et de type chronique des autres groupes. De manière générale, les facteurs de risque associés aux groupes de trajectoires de type chronique et à criminalité élevée ont pu être classés en deux domaines : (1) personnel (p. ex., problèmes d’hyperactivité, d’impulsivité ou d’inattention, manifestation précoce d’un comportement antisocial) et (2) familial (p. ex., famille désunie/transitions familiales, prise en charge par des tiers, criminels au sein de la famille, relations difficiles entre les membres de la famille, piètres méthodes d’éducation des enfants).

De la même manière, Yessine et Bonta (en cours de publication) ont examiné les variables prédictives de l’appartenance à un groupe de trajectoire de délinquance dans leur étude de jeunes probationnaires au Manitoba. Des entrevues menées auprès de jeunes au moment de leur admission en surveillance ont permis de colliger des renseignements au sujet de différentes caractéristiques démographiques sur le plan personnel et social, des facteurs de risque et des besoins. Parmi les facteurs de risque étudiés, les tendances liées aux fréquentations des jeunes étaient la variable prédictive la plus constante et la plus fiable d’appartenance à un groupe. Le groupe de délinquants chroniques à criminalité élevée comprenait plus de délinquants qui avaient des liens négatifs et non constructifs avec leurs pairs que le groupe de délinquants stables à criminalité faible. Les problèmes de toxicomanie constituaient également une variable prédictive : il y avait une plus grande proportion de jeunes probationnaires qui avaient des problèmes de toxicomanie dans le groupe de trajectoire des délinquants chroniques à criminalité élevée que dans celui des délinquants stables à criminalité faible. Les analyses supplémentaires menées expressément pour comparer les délinquants autochtones aux délinquants non autochtones ont révélé que les délinquants autochtones étaient plus susceptibles d’être issus d’un milieu défavorisé, caractérisé par un environnement instable, des problèmes de toxicomanie et des fréquentations négatives. Ces facteurs de risque ont contribué à renforcer leurs tendances criminelles graves et persistantes. En revanche, les conditions de vie instables permettaient de prédire chez les délinquants non autochtones de plus grandes probabilités d’appartenance au groupe des délinquants chroniques à criminalité élevée par rapport au groupe de délinquants stables à criminalité faible.

Dans l’étude de Craig et ses collaborateurs (2011), les enfants exposés au risque de délinquance (c.-à-d. ceux appartenant au groupe de trajectoire des délinquants à criminalité élevée, à celui affichant une augmentation du taux de criminalité et aux deux groupes de renonciateurs) ont présenté davantage de comportements hyperactifs, oppositionnels avec provocation et physiquement agressifs. Ils étaient également plus susceptibles de faire partie d’une famille monoparentale, d’avoir des parents qui n’avaient pas terminé leurs études secondaires, d’habiter dans un logement social et de subir des pratiques parentales hostiles et inefficaces. À la neuvième année, les groupes à criminalité élevée et ayant un taux de criminalité qui augmente présentaient beaucoup plus de problèmes fonctionnels se rapportant aux émotions, au comportement, à la santé, à la criminalité et à l’école.

En plus de ces études, Lacourse (2011) a examiné la relation entre les facteurs de risque associés à l’enfance tardive dans de multiples domaines (p. ex., les caractéristiques du voisinage, l’adversité dans la famille, les relations avec les parents/pairs, les comportements externalisés/internalisés) et quatre sous-types de trouble des conduites (TC) généralement reconnus dans de précédentes études. Les données sur les symptômes de TC et les facteurs de risque ont été colligées à partir de l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes. Trois cohortes de jeunes âgés de 12 et 13 ans ont été évaluées en 1994-1995, 1996-1997 et 1998-1999 (N = 4 125). Les résultats ont révélé que, sur 12 facteurs de risque, 10 étaient associés au TC aigu mixte, 9 au TC physiquement agressif et 10 au TC non agressif. Par exemple, l’âge plus avancé, la famille désunie, la mobilité de la famille et l’hyperactivité/inattention étaient des variables prédictives de TC aigu mixte comparativement au sous­type n’affichant pas de TC. En revanche, les garçons appartenant à la catégorie des plus jeunes, ayant vécu la mobilité de leur famille et présentant un degré élevé d’agression physique étaient associés au TC physiquement agressif, comparativement au sous-type n’affichant aucun TC. Par ailleurs, le TC non agressif était associé aux garçons appartenant à la catégorie des plus vieux, ayant une famille désunie, ayant vécu la mobilité de leur famille, ayant subi un contrôle parental coercitif/inefficace et fréquentant des pairs déviants. Ces conclusions laissent croire que, même s’il existe bon nombre de sous-types de TC, il y a plus de points communs que de différences entre les facteurs de risque. Les composantes de l’adversité familiale (p. ex., la famille désunie, le statut socio-économique de la famille, la mobilité de la famille), les pratiques parentales et l’hyperactivité/inattention semblent constituer les facteurs de risque clés courants des TC chez les enfants et les jeunes.

Une autre étude a examiné la validité et la fiabilité d’un outil procédant d’une démarche empirique, le Test de CRACOVIE, qui a été conçu afin de repérer rapidement les enfants présentant un risque de manifester un comportement violent (Lussier, Corrado, Tzoumakis et Deslauriers-Varin, 2011). Le Test de CRACOVIE s’attarde aux facteurs de risque et aux besoins des très jeunes enfants relativement à leur potentiel de se comporter plus tard de manière agressive. L’étude a été menée auprès des cent premiers enfants (garçons, n = 58; filles, n = 42) recrutés dans le cadre de la Vancouver Longitudinal Study on the Psychosocial Development of Children. Les analyses préliminaires indiquaient la présence de trois groupes d’enfants physiquement agressifs (à un faible, moyen et haut degré). Les analyses ultérieures ont montré que le groupe hautement agressif présentait un pointage plus élevé sur l’échelle du Test de CRACOVIE que les deux autres groupes, ce qui laisse entendre que les enfants hautement agressifs avaient été exposés à un plus grand nombre de facteurs de risque dans un plus grand nombre de domaines différents. En fait, les enfants appartenant au groupe d’enfants très agressifs physiquement étaient plus susceptibles de présenter des facteurs de risque et des besoins dans chacun des cinq domaines suivants : (a) la période prénatale/périnatale; (b) la situation socioéconomique; (c) l’environnement familial; (d) le fonctionnement psychologique de l’enfant; (e) les compétences parentales. Plus précisément, les trois groupes d’enfants se sont distingués des autres par les facteurs suivants : la toxicomanie de la mère pendant la grossesse; les complications à la naissance; la faible réussite scolaire des parents; la dépendance économique; le comportement antisocial des parents; les attitudes antisociales des parents; l’insensibilité; la propension à ressentir des émotions négatives; la témérité et la tendance à prendre des risques; les déficits d’attention; l’hostilité dans l’exercice du rôle parental et le manque d’une discipline constante exercée par les parents.

Une autre étude canadienne, menée par l’Institut canadien de recherche sur le droit et la famille (DeGusti, MacRae, Vallee, Caputo et Hornick, 2010), s’est attardée aux jeunes récidivistes à Calgary. Les données sur les différents facteurs de risque et de protection relatifs aux domaines personnel, familial, lié aux pairs, scolaire et communautaire ont été obtenues à partir d’entrevues et de l’examen de dossiers de probation. L’échantillon consistait en 123 jeunes, âgés en moyenne de 16,5 ans, qui ont eu des démêlés, à divers degrés, avec le système de justice pour les jeunes (p. ex., les participants du programme Gateway faisant l’objet de mesures extrajudiciaires; les délinquants ayant commis une seule infraction; les récidivistes et les récidivistes invétérés). Les données ont été colligées de juillet 2006 à juillet 2007. Les récidivistes ont été suivis pendant deux ans à la suite de l’entrevue; les contacts avec la police étant utilisés comme données sur les résultats. Selon les conclusions qualitatives de l’étude, des antécédents d’achat de drogues illicites, de vol de voiture ou de motocyclette et d’agression armée, de même qu’un diagnostic de trouble déficitaire de l’attention/trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (DCA/THADA), étaient étroitement associés à la fréquence des récidives (nombre de récidives). L’affiliation à un gang et la présence de gangs dans la collectivité étaient également des facteurs importants relativement à la participation à des activités criminelles. De manière surprenante, aucune des variables prédictives dans les domaines familial ou scolaire n’était significativement liée à la récidive.

Conclusions

L’analyse des recherches canadiennes portant sur les trajectoires de délinquance et les facteurs de risque chez les jeunes a soulevé un certain nombre de questions. La plus importante conclusion qu’il est possible de tirer en comparant les conclusions de ces études est peut-être que, malgré certaines similitudes, il existe bon nombre de différences entre elles, non seulement sur le plan du nombre et du type de groupe de trajectoire de délinquance, mais aussi en ce qui concerne les facteurs de risque associés aux tendances criminelles graves et chroniques. Ces écarts peuvent être attribués en partie aux différences méthodologiques et analytiques, principalement en ce qui a trait à la composition de l’échantillon et au type d’analyse statistique utilisée pour examiner les données.

En général, des études semblables menées dans d’autres pays qui ont pris comme échantillon des jeunes provenant d’une population normative ont permis de cerner trois ou quatre trajectoires, comparativement aux quatre à six habituellement constatées dans les populations de délinquants ayant fait l’objet d’une décision judiciaire (Piquero, 2008). Les échantillons utilisés dans le cadre des études examinées dans le présent article se rapportaient à différentes catégories : les jeunes qui n’ont pas participé à des activités criminelles (Craig et coll., 2011; Lacourse, 2011); les jeunes ayant été pris en charge initialement par les services de probation (Yessine et Bonta, 2009; en cours de publication), les jeunes se trouvant dans un établissement de garde au moment où les données ont été initialement rassemblées (Day et coll., 2008; 2011) et les jeunes ayant franchi le premier niveau d’entrée dans une gamme de services au sein du système de justice pour les jeunes (DeGusti et coll., 2010). Les conclusions divergentes peuvent très bien provenir de l’hétérogénéité des échantillons, puisque des différences dans la composition des échantillons peuvent moduler de manière importante les regroupements et les types de trajectoires.

Il est également pertinent de noter que les chercheurs ont utilisé des degrés variables de complexité et de raffinement dans la conception de leur étude et dans leur analyse statistique. Souvent, les études longitudinales comportent des taux d’attrition élevés, particulièrement dans les groupes à risque élevé, ou produisent des biais liés à l’échantillon pouvant fausser les conclusions et créer des impressions erronées quant à leur signification et à leur pertinence.

En plus de ces explications potentielles des différences observées, d’autres facteurs peuvent avoir eu une incidence sur le nombre de trajectoires de délinquance et sur leurs caractéristiques. Ces facteurs comprennent les différences dans la mesure du comportement délinquant (p. ex., les autoévaluations comparativement aux condamnations officielles, la fréquence comparativement à la gravité, l’étendue/la portée des pointages, le nombre de séries d’évaluation), entre les définitions opérationnelles des facteurs de risque, dans la durée de la période de suivi et dans la fourchette d’âges prévue pour l’étude. Par exemple, même si toutes les études étaient longitudinales, les périodes de suivi différaient beaucoup, allant de 2 à 19 ans.

Hormis de telles divergences, les études canadiennes partagent l’objectif commun de faire progresser la compréhension de la diversité des cheminements menant au crime et la compréhension des facteurs associés aux différents profils de délinquant ou à la persistance de la délinquance. À ce titre, une conclusion importante est qu’il existe une tendance commune dans la détermination et la prévision du risque. Selon les différentes études et nonobstant les résultats particuliers, il semblerait que des expériences perturbantes précoces au sein de la famille d’origine (p. ex., famille désunie/transitions familiales, prise en charge par des tiers), l’adversité familiale (p. ex., conflit parental, pratiques déficientes de supervision parentale), la détérioration de la réussite scolaire (p. ex., mauvais rendement scolaire, absentéisme à l’école, mauvaise opinion de l’école) et les piètres relations avec les pairs (p. ex., fréquentations de pairs antisociaux/délinquants, liens non constructifs avec des pairs) permettent de prédire de façon constante quels enfants et quels jeunes poursuivront une longue carrière criminelle et, dans certains cas, commettront des infractions plus graves et plus violentes. Les expériences précoces, comme la manifestation d’un comportement agressif chez l’enfant, permettent également de prédire des résultats plus négatifs. Les résultats exprimaient cette tendance générale, peu importe le moment de l’intervention du système où la période de suivi de l’étude commençait, même dans les recherches qui se servaient d’un échantillon d’enfants et de jeunes à prédominance non clinique (à partir de la population générale). De manière aussi importante, les principales conclusions indiquées dans le présent article sont cohérentes avec celles tirées de multiples sources de données obtenues à différents moments dans le monde.

De plus, les données scientifiques examinées dans le cadre du présent article laissent croire que le risque de délinquance augmente avec le nombre et la variété des facteurs de risque, ce qui est cohérent avec la littérature existante. Les jeunes présentant un plus grand nombre de facteurs de risque et des facteurs de risque dans de multiples domaines (p. ex., familial, scolaire, lié aux pairs) sont plus susceptibles d’adopter un style de vie délinquant, comparativement aux jeunes affichant moins de facteurs de risque et/ou des facteurs de risque dans un seul domaine. Selon une conclusion connexe, les facteurs de risque chez les enfants et les jeunes semblent souvent jouer un rôle complémentaire dans la prévision d’un comportement risqué ultérieur. Par exemple, les jeunes qui ont des problèmes à l’école sont également plus susceptibles d’entrer en relation avec des pairs de manière négative ou de connaître la violence au sein de leur famille. Ces facteurs, pris conjointement, déterminent leur niveau de risque. Cela dit, la recherche actuelle ne nous permet pas de déterminer précisément l’importance et la fréquence des principaux facteurs de risque, ni la façon dont ceux-ci interagissent (p. ex., le poids différentiel de certains facteurs de risque, relativement à d’autres et en combinaison avec d’autres, pour ce qui est de résultats particuliers). Ce volet d’enquête est important pour contribuer à repérer les jeunes les plus à risque de délinquance et pour déterminer l’ordre de priorité des services.

En conjonction avec de nombreuses études qui ont examiné les tendances dans les taux de criminalité (p. ex., Blokland, Nagin et Nieuwbeerta, 2005; Farrington, Lambert et West, 1998; Loeber, Wei, Stouthamer-Loeber, Huizinga et Thornberry, 1999), les conclusions d’études portant sur les trajectoires de délinquance soulèvent des questions dignes de mention. Peu de gens contesteraient le fait que la criminalité augmente au début de l’adolescence et atteint rapidement un sommet à la fin de l’adolescence, avant de chuter au début de l’âge adulte. Cette relation générale entre l’âge et le crime donne à penser que la période entre la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte est l’une des périodes les plus propices à l’activité criminelle. Cependant, en dépit du fait que l’allure de la courbe décrivant le comportement criminel en fonction de l’âge est incontestable, la recherche actuelle semble indiquer que l’augmentation observée de la délinquance pendant l’adolescence occulte des cheminements de développement distincts au sein de la population de délinquants. Même si le nombre de personnes participant à des activités criminelles augmente pendant l’adolescence, la trajectoire de délinquance de la plupart des jeunes est limitée à leur adolescence et à des infractions mineures. Seulement une faible proportion des jeunes adoptent une trajectoire criminelle grave et chronique, se lançant dans une carrière criminelle au-delà de leur adolescence. Ces jeunes commettent un nombre élevé et disproportionné d’infractions criminelles. L’une des difficultés de l’intervention en matière de prévention consiste à repérer ces jeunes aussitôt que possible et à interrompre leurs cheminements menant à une carrière criminelle.

Inversement, le fait que la plupart des jeunes ne commettent pas d’infraction et que, dans le cas de ceux qui le font, la plupart mettent fin à leur comportement délinquant pendant l’adolescence met en lumière le besoin de mieux comprendre la résilience (comment encourager la résilience quand le risque augmente) et les mécanismes associés aux facteurs de protection ainsi que leur interaction avec les facteurs de risque. Les conclusions du présent article contribuent à souligner davantage le besoin d’une stratégie de prévention à plusieurs niveaux ciblant plusieurs domaines de risque (p. ex., personnel, familial) et d’une stratégie propre au développement, en tenant compte du fait que les jeunes vieillissent et qu’ils sont exposés à un nouvel ensemble de facteurs de risque.

Orientations futures

Des progrès considérables ont été réalisés pour ce qui est de déterminer les principaux facteurs de risque de délinquance. Nous possédons maintenant des connaissances qui nous permettent de nous appuyer davantage sur les conclusions des études longitudinales qui suivent les jeunes à risque de délinquance au Canada. Les avancées réalisées dans le domaine ont permis de raffiner notre compréhension de la mesure dans laquelle le risque est associé au maintien du délinquant dans le système de justice pénale pour adultes et aux cheminements multiples menant à la criminalité grave et chronique. Les avancées ont également contribué à la création de programmes d’intervention précoce et de prévention visant à réduire l’incidence des facteurs de risque chez les enfants et les jeunes à risque élevé. Le Canada a encore besoin d’obtenir des renseignements de façon systématique sur la prévalence de ces facteurs de risque dans la population afin de soutenir sa base croissante de connaissances sur les facteurs de risque les plus importants liés aux comportements délinquants (et autres comportements problématiques) ainsi que ses interventions prometteuses pour réduire les facteurs de risque associés au style de vie délinquant. Il est également primordial d’encourager la réalisation d’autres recherches afin de créer un modèle d’explication de l’interrelation entre les facteurs de risque et de protection clés de la délinquance à différentes étapes de développement.

Pour suivre cette voie et soutenir davantage la création et la mise en œuvre de politiques et de programmes fondés sur les connaissances et visant les jeunes présentant un risque de délinquance, il serait utile de mener une enquête auprès de la population sur les enfants et les jeunes à risque. L’objectif d’une telle étude serait de déterminer la prévalence des facteurs de risque associés au comportement criminel. En plus d’éclairer la prise de décisions quant aux politiques et aux programmes, une telle étude permettrait de fournir des données de référence aux fins de l’évaluation ultérieure des cadres stratégiques (p. ex., déterminer si les politiques et les interventions réduisent avec succès la prévalence de ces facteurs de risque au fil du temps). Colligées dans le cadre d’une enquête en population, ces données ne dupliqueraient pas d’autres sources de données existantes ou d’autres études/projets de collecte de données. Un examen des sources de renseignements existantes sur les facteurs les plus importants (relativement aux domaines personnel, familial, scolaire et lié aux pairs) connus pour poser un risque de délinquance pour les enfants et les jeunes a montré qu’il n’existe présentement que très peu de données utiles, voire aucune (Statistique Canada, 2010). Il serait donc nécessaire d’effectuer une étude sur les facteurs de risque dans la population canadienne des enfants et des jeunes pour faire progresser les connaissances en prévention du crime au cours du développement et pour fournir des lignes directrices stratégiques permettant d’orienter les politiques et les pratiques visant à réduire les trajectoires de criminalité et les coûts afférents.

Bibliographie

Date de modification :