ARCHIVE - Modes d'acquisition sur le marché des armes à feu illégales - Rapport final

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par

Carlo Morselli, Ph.D.
Sévrine Petit, M.Sc.
Mathilde Turcotte, Ph.D.
Claudine Gagnon, M.Sc.

pour la
Division des armes à feu et de la politique opérationnelle

Sécurité publique Canada

15 septembre 2010

*Nous remercions Suzing Hum pour ses conseils et ses suggestions tout au long de cette recherche.

Table des matières

Résumé

Le présent document renferme les résultats d'une enquête qualitative menée auprès de 20 acquéreurs, incarcérés ou non incarcérés, d'armes à feu illégales achetées au Québec. L'objectif général de cette étude était de déterminer les principaux modes d'acquisition d'armes à feu illégales. « Armes à feu illégales » s'entend de toutes les armes à feu interdites par la loi canadienne et de toutes les armes à feu (légales ou illégales) achetées par des canaux prohibés ou non officiels. Deux objectifs particuliers découlent de cet objectif général : 1) collecter des données relatives à des expériences individuelles sur le marché des armes à feu illégales et 2) généraliser ces expériences individuelles de manière à établir une projection de l'étendue et de la structure du marché des armes à feu illégales. La réalisation de ces objectifs aidera Sécurité publique Canada à répondre à ses propres besoins qui sont décrits dans l'Initiative sur les investissements dans la lutte contre l'utilisation d'armes à feu à des fins criminelles. Cette initiative, établie en 2004, visait à améliorer la collecte, l'analyse et la communication à l'échelon national de données et de renseignements sur les armes à feu afin de renforcer la capacité des organismes d'application de la loi à lutter contre la criminalité mettant en jeu des armes à feu et contre la contrebande et le trafic d'armes à feu. La recherche sur les enjeux liés à ce type de criminalité est un volet de l'Initiative et devrait contribuer à l'élaboration de politiques pertinentes ainsi que de démarches et de stratégies opérationnelles efficaces.

Le présent rapport est divisé en deux grandes parties. Dans la première partie, nous recensons les recherches antérieures sur les marchés des armes à feu illégales dans le contexte canadien et au-delà et nous mettons en lumière leurs principales constatations et conclusions. Dans la deuxième partie, qui donne suite à cette recension de la recherche, nous nous interrogeons sur les constatations antérieures et sur d'autres éléments absents dans la recherche sur les marchés des armes à feu illégales en analysant le contenu des entretiens menés avec 20 hommes qui ont décrit leurs expériences de l'acquisition d'armes à feu par l'entremise d'un éventail de canaux illégaux. Cette deuxième partie est suivie des principaux faits saillants et des principales conclusions de la présente recherche (aussi présentés dans le résumé) et d'une série de recommandations que toute personne qui s'intéresse au problème du marché des armes à feu illégales devrait prendre en compte.

Les recherches sur les marchés des armes à feu illégales nous ont enseigné que peu importent les frontières culturelles, nationales et législatives qui distinguent le contexte dans lequel ces recherches ont été menées, les marchés des armes à feu illégales dans différents contextes présentent généralement des caractéristiques nettement similaires. Ce n'est pas dire qu'aucune distinction n'existe de part et d'autre de ces frontières. Des caractéristiques particulières distinguent les marchés des armes à feu illégales d'une région géographique à une autre. Dans certaines régions, des individus acquièrent des armes à feu illégales principalement par l'intermédiaire de parents ou d'amis. Dans d'autres régions, ils ont tendance à s'adresser aux trafiquants de drogue et à des contacts du milieu criminel plutôt qu'à des parents et amis. Les prix peuvent aussi varier d'une région à une autre, mais il y a peu de recherches pour le moment qui permettent d'établir des tendances claires et sûres à cet égard. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il importe de relever les points communs généraux entre les différents milieux plutôt que des distinctions particulières et essentiellement mineures. Les tendances générales les plus importantes qui ressortent des recherches antérieures sont les suivantes : 1) l'acquisition d'armes à feu illégales se fait généralement dans un contexte de relations informelles, en ce sens que les acheteurs et les vendeurs sont souvent des amis, des parents ou des contacts fiables et rarement des sources centralisées et professionnalisées; 2) les consommateurs d'armes à feu illégales ont généralement accès à plusieurs canaux d'acquisition et des intermédiaires sont souvent mêlés aux transactions, ce qui multiplie les options pour toutes les parties concernées; 3) les armes à feu illégales sont souvent acquises dans des contextes opportunistes et non planifiés et pas forcément au terme de recherches mûrement réfléchies et organisées; 4) l'acquisition d'armes à feu illégales se fait pour différentes raisons (p. ex. pour le plaisir, en vue de commettre un acte criminel ou parce qu'elles représentent une bonne affaire), mais la motivation la plus importante révélée par la recherche est l'autoprotection; 5) la nature informelle des transactions relatives aux armes à feu illégales, le nombre élevé d'occasions non planifiées et la diversité des motifs (en particulier l'autoprotection) font en sorte qu'une arme à feu illégale est une marchandise attrayante pour un vaste éventail de consommateurs et non simplement un outil exclusif réservé à des délinquants endurcis et aux membres d'organisations criminelles ou de gangs; 6) si le marché des armes à feu illégales regorge d'armes à feu bon marché et de petit calibre, les consommateurs préfèrent généralement des armes précises, bien faites, puissantes et de gros calibre – bien entendu, les acquisitions, qu'elles soient planifiées ou opportunistes, dépendent du bassin d'armes à feu auquel les consommateurs ont accès à un moment donné.

Les entretiens ont permis de confirmer la plupart des caractéristiques générales qui sont ressorties des recherches antérieures. Les canaux d'acquisition informels étaient effectivement la norme. La plupart des répondants avaient accès à plusieurs canaux d'acquisition. Des intermédiaires étaient des acteurs importants dans la plupart des transactions. Les transactions opportunistes étaient fréquentes dans l'expérience de tous les répondants. La protection était une motivation importante pour certains répondants, surtout chez les délinquants les plus endurcis de l'échantillon, mais pas aussi dominante qu'elle l'était dans les études antérieures. Plusieurs répondants ont plutôt expliqué que, souvent, ils avaient fait l'acquisition d'une arme à feu parce qu'ils étaient conscients qu'elle représentait une bonne affaire, parce qu'ils étaient des collectionneurs passionnés et prêts à investir dans des armes à feu sérieuses ou simplement parce qu'ils étaient attirés par le style et l'allure de l'arme ou la sensation qu'elle leur procurait au toucher. Les délinquants endurcis n'étaient pas les seuls consommateurs réguliers d'armes à feu. L'échantillon comprenait des jeunes délinquants et des délinquants plus âgés, des délinquants de milieux ruraux et urbains et des délinquants qui avaient été incarcérés pour un éventail de crimes. En outre, près de la moitié de l'échantillon était constituée de consommateurs d'armes à feu illégales qui n'avaient jamais été incarcérés. Il s'agissait de collectionneurs d'armes à feu libres et passionnés qui étaient prêts à en faire l'acquisition par des canaux illégaux s'il pouvait ainsi mettre la main sur une arme à feu difficile ou impossible à obtenir par des voies légales. Les délinquants plus organisés ont rapporté avoir un accès plus constant à des armes à feu illégales, mais la plupart des répondants ont déclaré avoir peu de difficulté à en trouver. Les répondants ont aussi décrit des expériences qui nous ont permis d'analyser comment les goûts se développent à mesure que les consommateurs connaissent de mieux en mieux les armes à feu et comment les armes à feu plus sérieuses et bien faites prennent le pas sur l'abondance d'armes à feu ordinaires et moins chères qui sont disponibles.

En plus de confirmer les modes d'acquisition relevés dans des études antérieures, les entretiens ont aussi révélé des constats qui ne sont pas ressortis des enquêtes antérieures sur les marchés des armes à feu illégales. En ce qui concerne l'accès aux armes à feu illégales, si la plupart des répondants ont acquis leur arme à feu par l'intermédiaire de contacts proches et fiables, d'autres ont parlé de leur expérience avec des fournisseurs fixes, en particulier les sources actives dans les réserves autochtones à proximité de Montréal. Ces marchands attirent beaucoup l'attention des forces de l'ordre et des médias, mais les rares répondants qui avaient eu, dans le passé, des rapports avec de tels marchands clandestins, en vue d'acquérir (ou d'essayer de se procurer) une arme à feu, ont décrit à quel point il avait été difficile d'établir un premier contact avec ceux-ci. Des répondants ont dit avoir attendu des mois avant de pouvoir établir une relation solide d'acheteur à fournisseur fiable et les répondants qui avaient eu accès à ces sources avec beaucoup de facilité l'avaient fait en général par l'intermédiaire de leurs contacts criminels. Toutefois, pour le consommateur typique d'armes à feu illégales, il reste que les revendeurs actifs dans les réserves autochtones ne sont pas des fournisseurs courants ni des fournisseurs d'accès facile. Tel que mentionné, ces fournisseurs centralisés n'étaient pas la source la plus courante d'armes à feu. Cela n'était pas simplement dû aux difficultés d'entrer en rapport avec eux, mais surtout parce que les répondants étaient déjà bien exposés à un éventail de canaux pour acquérir des armes à feu. Une analyse des réseaux personnels a révélé, au cours de chacun des entretiens, que seuls quelques répondants avaient accès à des réseaux fermés, limités à un ou deux fournisseurs, et que la plupart des répondants étaient capables d'acquérir des armes à feu par l'intermédiaire de réseaux ouverts ou de courtiers qui les mettaient en rapport avec un bon nombre de fournisseurs (dans des réseaux ouverts) ou d'intermédiaires fiables (dans des réseaux à courtage). C'était le cas tant pour les répondants libres que pour les répondants incarcérés de l'échantillon. Le fait que ces réseaux ouverts et ces réseaux à courtage étaient les plus courants donne à penser que même si les interventions des forces de l'ordre réussissaient à éliminer du marché des fournisseurs clés, les consommateurs pourraient s'adapter assez rapidement en passant par l'un ou l'autre des canaux auxquels ils ont accès.

Une analyse des prix et des critères qui façonnent les choix a révélé que les consommateurs dépendent en grande partie des armes qui sont disponibles dans leur réseau au moment de la transaction. Toutefois, cela variait selon le degré d'expérience et de connaissance qu'ils possédaient lors de leurs acquisitions respectives. Les acquéreurs plus expérimentés et passionnés étaient prêts à attendre plus longtemps et à payer plus cher pour l'arme à feu qu'ils désiraient. C'était particulièrement le cas des répondants libres qui étaient des collectionneurs d'armes à feu passionnés. Cependant, pour la plupart, les répondants ont simplement pris ce qui était disponible et payé ce qu'ils estimaient être le prix du marché pour une arme donnée. Quelques distinctions sont apparues toutefois, dans certaines situations opportunistes où le répondant s'est trouvé à jouir d'un pouvoir de négociation considérable sur la personne qui lui fournissait l'arme à feu, qui avait une dette envers lui ou qui avait grandement besoin de drogue. Bien entendu, ces situations privilégiées se produisent d'habitude avec des répondants qui sont lourdement impliqués dans des contextes de trafic de drogue. Ce n'était pas le cas de la plupart des répondants, ni même de la plupart des détenus.

Une dernière analyse a porté sur ce qui est advenu des armes à feu dont il était question dans les entretiens. Le quart de ces armes à feu ont été saisies par les policiers et une petite partie (4 %) avait été détruite par le répondant même ou celui-ci s'en était débarrassé. Toutefois, le quart des armes à feu avaient été remises en circulation et près de la moitié des armes à feu étaient encore en la possession des répondants.

Il est important de prendre en compte ces résultats lors de l'élaboration de politiques et de pratiques d'application de la loi destinées à lutter contre le marché des armes à feu illégales. Fait qui pourrait être étonnant pour la plupart des responsables de l'application de la loi et de l'élaboration de politiques, les répondants étaient très peu renseignés sur l'origine des armes à feu qu'ils se procuraient et ils se souciaient peu de savoir si elles avaient été utilisées dans des actes criminels. Ils prenaient toutefois soin de se distancer des armes qu'ils avaient personnellement utilisées pour commettre des actes criminels. Les répondants qui n'étaient pas incarcérés et qui n'étaient pas impliqués dans des actes criminels (au-delà, bien sûr, de la transaction visant l'arme à feu illégale) ont aussi révélé des précautions curieuses. Si leur participation dans le marché des armes à feu illégales était fondée sur la décision de contourner le processus d'enregistrement d'armes à feu légales, qu'ils percevaient comme lent et lourd, et sur leur désir d'ajouter à leur collection de catégories particulières d'armes à feu qui étaient prohibées dans le contexte canadien, ils prenaient également soin de demeurer actifs dans le marché des armes à feu légales en achetant et en enregistrant une nouvelle arme à feu afin de montrer qu'ils respectaient encore les règles. Si nous ne voyons aucun moyen d'identifier ces acquéreurs qui chevauchent les marchés des armes à feu légales et illégales, les expériences qu'ils ont révélées semblent indiquer que le marché illégal n'est pas fréquenté que par la population criminelle. Bien entendu, cela est vrai de la plupart des économies des marchés noirs et clandestins.

Il demeure toutefois que si ces nouveaux résultats sont effectivement révélateurs, l'échantillon petit et non représentatif qui a été utilisé aux fins de cette étude rend ces constatations provisoires. Elles devront être examinées plus en profondeur dans des enquêtes plus étendues sur ces questions.

Rapport

Sécurité publique Canada a reconnu la nécessité d'une étude sur les modes d'acquisition d'armes à feu illégales au Canada. Cette nécessité s'inscrit dans le prolongement de l'Initiative sur les investissements dans la lutte contre l'utilisation d'armes à feu à des fins criminellesqui avait été mise en œuvre en 2004 pour améliorer la collecte, l'analyse et la communication à l'échelon national de données et de renseignements sur les armes à feu afin de renforcer la capacité des organismes d'application de la loi à lutter contre la criminalité mettant en jeu des armes à feu et contre la contrebande et le trafic d'armes à feu. La recherche sur les enjeux de la criminalité liée aux armes à feu est un volet de l'Initiative qui vise à contribuer à l'élaboration de politiques pertinentes ainsi que de démarches et de stratégies opérationnelles efficaces.

L'objectif général de la présente recherche consiste à mener une enquête qualitative auprès de 20 consommateurs incarcérés et non incarcérés, actifs sur le marché des armes à feu illégales au Québec. En particulier, il s'agit de déterminer les principales modalités de l'acquisition d'armes à feu illégales. « Armes à feu illégales » s'entend de toutes les armes à feu qui sont interdites dans la législation canadienne et de toutes les armes à feu (légales ou illégales) qui ont été acquises par des voies interdites ou non officielles. Deux objectifs spécifiques découlent de ce but général : 1) collecter des données sur des expériences individuelles sur le marché des armes à feu illégales et 2) généraliser ces expériences individuelles de manière à établir une projection de l'étendue et de la nature du marché des armes à feu illégales. La réalisation de ces objectifs aidera à guider les décideurs et les responsables de l'application de la loi dans les efforts déployés pour s'attaquer à ce phénomène et le limiter.

En vue de l'atteinte de ces objectifs, la recherche prendra en compte, à tout le moins et si les renseignements disponibles le permettent, les éléments suivants :

Le présent rapport fournit les résultats d'études antérieures recensées sur les marchés des armes à feu illégales ainsi qu'une analyse des entretiens menés auprès de détenus qui ont décrit leur expérience de l'acquisition d'armes à feu illégales.

Recension de la recherche

La plus grande partie de la recherche menée au Canada vise à déterminer l'effet des dispositions législatives antérieures en matière d'armes à feu sur les tendances de la criminalité violente. Il y a peu de recherche sur les armes à feu illégales au Canada et sur les modes d'acquisition dans ce marché. La présente recherche ouvre ce domaine d'enquête en examinant les études antérieures qui portent en partie sur les modes d'acquisition d'armes à feu illégales au Canada ou d'armes à feu à des fins criminelles, ainsi que des études plus étendues dans ce domaine menées aux États-Unis et dans d'autres pays. Ces études sont néanmoins pertinentes pour le contexte canadien, en particulier si nous considérons qu'il y a de fortes chances que les modes qui caractérisent les marchés illégaux transcendent les frontières.

En fait, des modes caractéristiques apparaissent dans différents pays et dans différents contextes culturels. Une grande partie de la recherche s'appuie sur une enquête déterminante qui date de près de trois décennies. D'après les résultats du sondage que Wright et Rossi (1986) ont mené auprès de 2 000 détenus incarcérés aux États-Unis, le marché des armes à feu est régi principalement par des interactions informelles dans lesquelles les acheteurs et les vendeurs s'entendent généralement sur des transactions « clandestines ». Il s'agit essentiellement de transactions d'armes à feu usagées, effectuées dans des contextes informels et dans de courts laps de temps. La nature informelle des marchés des armes à feu illégales concorde avec les résultats de deux études dans lesquelles des données sur ces questions ont été recueillies dans le contexte canadien. Les deux études se concentraient sur les acquisitions illégales au Québec. La première étude était le sujet d'une thèse de doctorat qui portait exclusivement sur les délinquants juvéniles (Longtin, 1999). La deuxième était fondée sur un petit nombre d'entretiens qualitatifs avec des détenus adultes qui ont décrit leur expérience de l'acquisition d'armes à feu illégales avant leur incarcération (Morselli, 2002). Dans les deux études, la prédominance des réseaux informels à titre de filières d'acquisition dans les marchés des armes à feu illégales est ressortie comme constatation clé.

Outre leur nature informelle, les marchés des armes à feu illégales se démarquent par d'autres caractéristiques. Koper et Reuter (1996) ont comparé le marché des armes à feu illégales et le marché des drogues illégales et ont soutenu que si les forces de l'ordre ou les décideurs comptent assécher le marché dans le but de faire augmenter les prix et de rendre les armes à feu illégales moins attrayantes pour les consommateurs, ils doivent prendre en compte les particularités suivantes. Premièrement, les transactions sur le marché des armes à feu illégales sont relativement rares puisque les armes sont plus durables et plus coûteuses que les drogues illégales. Deuxièmement, si de nombreux consommateurs peuvent acquérir des armes à feu pour le plaisir, la protection personnelle est la raison principale pour laquelle on se porte illégalement acquéreur d'une arme à feu. Troisièmement, il faut prendre en compte le contexte relationnel informel dans lequel les acheteurs et les vendeurs sont souvent des amis, des parents ou des gens de confiance et l'échange d'armes à feu dans ces réseaux serrés est courant. Ainsi, les forces de l'ordre sont confrontées à des défis considérables parce que les participants à ces transactions sont généralement peu disposés à révéler leurs sources ou leurs principaux acheteurs. Quatrièmement, à cause de la durabilité de l'arme et des contextes relationnels étroits qui caractérisent généralement les transactions visant les armes à feu illégales, la durée de vie (ou la carrière) d'une arme à feu illégale est nettement plus longue que celle d'une quelconque drogue. Cinquièmement, les armes à feu sont des marchandises encombrantes et les propriétaires en ont généralement un petit nombre, ce qui fait d'une saisie d'un inventaire considérable par les forces de l'ordre un événement rare et sensationnel. La dernière caractéristique qui distingue les armes à feu des drogues est le chevauchement de ce marché avec le marché des drogues illégales et d'autres marchés illégaux. Le besoin d'une arme à feu chez la plupart des participants à des marchés illégaux met en lumière la qualité transcendante des armes à feu.

Les distinctions que font Koper et Reuter ont été observées dans des études empiriques. Dans une recherche menée dans un quartier de Chicago (Grand Boulevard/Washington Park), Cook, Ludwig, Venkatesh et Braga (2006) ont constaté que le marché clandestin des armes à feu dans ce secteur est « mince ». D'après les auteurs, des interventions policières intensives dans ce marché et la réglementation stricte en étaient en grande partie responsables, mais la durabilité des armes à feu et la possibilité de les partager pouvaient expliquer en grande partie la taille et la structure du marché. Des différences entre les marchés peuvent toutefois apparaître dans différents contextes géographiques. Dans l'étude sans doute la plus exhaustive menée sur les armes à feu illégales dans un contexte canadien, Erickson et Butters (2006) ont comparé les modes d'acquisition, de port et d'utilisation d'armes à feu chez des jeunes (904 étudiants, 218 décrocheurs et 278 détenus) à Montréal et à Toronto. Dans les deux villes, rares étaient les étudiants qui ont déclaré avoir acquis ou porté une arme à feu. Les décrocheurs et les détenus de l'échantillon étaient plus susceptibles de posséder des armes à feu, en particulier à Toronto. Dans les deux villes, environ 30 % des décrocheurs ont dit avoir acquis leur arme à feu d'amis ou de parents et, dans une moindre mesure, de vendeurs de drogue ou de sources de la rue (20 %). Quant aux détenus, l'étude a révélé des différences importantes entre les deux villes : à Toronto, les sources les plus fréquentes étaient les amis et les parents (40 %) tandis que les détenus dans l'échantillon de Montréal étaient légèrement plus susceptibles de s'adresser à des vendeurs de drogue (28 %) qu'à des amis et à des parents (26 %). Ils étaient également plus susceptibles d'acquérir légalement une arme à feu (10 %) que les détenus dans l'échantillon de Toronto (3 %).

Si la recherche d'Erickson et Butters nous éclaire sur certaines des caractéristiques importantes qui sont pertinentes pour décrire le contexte des transactions relatives aux armes à feu illégales au Canada, il reste encore de nombreux domaines à examiner pour obtenir une évaluation exhaustive de ce qu'il faut pour l'acquisition d'une arme à feu par des voies illégales dans un pays où existent des contrôles rigoureux sur les armes à feu, un taux de criminalité à la baisse et des taux d'actes de violence relativement faibles. À ce stade, il y a peu de connaissances sur qui sont les consommateurs dans ce marché, quelles sont leurs préférences en matière d'armes à feu, comment ils les acquièrent, qu'est-ce qui les motive à le faire, comment ils utilisent ces armes à feu et comment les connaissances acquises à ce sujet peuvent se traduire par la prise de politiques et d'interventions policières efficaces.

Qui acquiert des armes à feu illégales?

Comme nous l'avons vu précédemment, les enquêtes antérieures étaient limitées à des échantillons soit d'adultes, soit de jeunes. Les rares études dont les sujets comprenaient et des jeunes et des adultes se limitaient à un échantillon de jeunes adultes. Il y a également eu des recherches, non fondées sur un sondage, qui reposaient sur des échantillons d'armes à feu saisies ou des sources d'armes à feu illégales. Au moyen de cette multitude d'échantillons, nous pouvons assembler un solide inventaire de la demande sur le marché des armes à feu illégales dans différents contextes. La recherche antérieure nous apprend que, peu importe qu'il s'agisse de jeunes ou d'adultes, de femmes ou d'hommes et de délinquants incarcérés ou non, les facteurs qui expliquent qui acquiert des armes à feu par des voies illégales demeurent nébuleux et il est impossible d'affirmer grand-chose à ce sujet avec un quelconque degré de certitude.

Certains peuvent supposer que dans les enquêtes fondées sur un échantillon de délinquants incarcérés, la proportion des répondants disant avoir utilisé des armes à feu illégales serait élevée, mais ce n'est pas forcément le cas. Dans l'échantillon de détenus adultes de Wright et Rossi (1986), les trois quarts des détenus étaient personnellement propriétaires ou avaient eu la possession d'une quelconque arme à feu. Une forte majorité des membres de ce groupe ont déclaré qu'ils n'avaient jamais enregistré leurs armes à feu auprès de la police ou des autorités et qu'ils n'avaient jamais demandé un permis pour acheter ou porter une arme à feu. Dans ce même échantillon, 50 % étaient classés soit parmi les « prédateurs à l'arme de poing », les « utilisateurs d'armes à feu pour la première fois », les « utilisateurs sporadiques d'armes à feu » ou les « prédateurs à l'arme d'épaule », mais 39 % étaient classés parmi les « délinquants non armés » et 7 % parmi les « délinquants au couteau ». Le reste (4 %) représentait la catégorie des « improvisateurs ». Les répondants qualifiés de prédateurs à l'arme de poing et à l'arme d'épaule étaient de loin les délinquants les plus actifs de l'échantillon.

L'étude de Decker et Pennell (1995), qui portait sur un échantillon de plus de 4 141 jeunes et adultes, hommes et femmes, appréhendés dans 11 villes américaines (Atlanta, Denver, Detroit, Indianapolis, Los Angeles, Miami, Nouvelle-Orléans, Phoenix, St. Louis, San Diego et Washington D.C.), a produit des résultats similaires. À l'aide de données collectées dans le cadre du programme Drug Use Forecasting (DUF, Prédiction de l'utilisation de drogues), les auteurs ont constaté que 39 % seulement des adultes de l'échantillon ont déclaré avoir déjà possédé une arme à feu et 15 % qu'ils portaient une arme à feu en tout temps ou la plupart du temps. Quant aux adolescents, la proportion de propriétaires d'armes à feu était inférieure à 22 %. Parmi ceux qui avaient acquis des armes à feu et qui en possédaient, 45 % ont déclaré les avoir obtenues sur le marché illégal. Ces résultats concordent avec ceux d'un prolongement de la même enquête qui était fondé sur un échantillon plus grand constitué de 7 000 personnes appréhendées dans les mêmes villes (Decker, Pennell et Caldwell, 1997).

Selon Decker et ses collaborateurs (1995 et 1997), les personnes en état d'arrestation sont plus souvent des propriétaires et des utilisateurs d'armes à feu que le citoyen moyen. La recherche sur les adolescents confirme également cette affirmation. Smith (1996) a comparé la possession d'armes à feu chez des jeunes délinquants dans sept établissements pour délinquants juvéniles et chez des élèves de dix écoles secondaires aux États-Unis. Tous les participants étaient âgés de moins de 21 ans. Les résultats révèlent que 83 % des jeunes délinquants ont déclaré posséder une arme à feu (et 65 % possédaient au moins trois armes à feu) contre 22 % des élèves (15 % en possédaient au moins trois). L'étude de Wintemute, Romero, Wright et Grassel (2004) sur le cycle de vie des armes utilisées à des fins criminelles en possession de jeunes adultes (24 ans et moins) fournit plus de détails sur les propriétaires et les acheteurs dans les marchés des armes à feu illégales. Les auteurs ont examiné à quelle fréquence les armes à feu changent de main dans un tel marché. L'étude utilise des données sur la provenance de 2 121 armes à feu récupérées en Californie en 1999. Les autorités ont pu remonter à 1 717 propriétaires âgés de moins de 25 ans (dont 58,6 % n'avaient pas l'âge légal). Seulement 14 % possédaient plus d'une arme à feu, les propriétaires de plusieurs armes étant plus nombreux dans la portion plus âgée de l'échantillon (21 à 24 ans). Les auteurs ont aussi fait une distinction entre les personnes qui possédaient des armes à feu et celles qui en avaient acheté. Les acheteurs étaient habituellement âgés de plus de 25 ans, mais rares sont ceux qui avaient acheté plus d'une arme à feu (seulement 2,6 %). Enfin, 69 % des actes criminels liés aux armes à feu de l'échantillon se rapportaient à l'arme à feu (p. ex. port, décharge ou possession) et seulement 10 % se rapportaient à des infractions relatives à des drogues illégales.

D'autres caractéristiques décrivent les personnes les plus susceptibles d'être des consommateurs d'armes à feu et des participants dans le marché des armes à feu illégales. La plupart de ces caractéristiques reflètent le milieu familial et le groupe des pairs dans lesquels ces personnes évoluent. Par exemple Wright et Rossi (1986) ont constaté que l'acquisition et l'utilisation illégales d'armes à feu augmentent si des amis portent des armes à feu, mais les hommes dont le père possédait des armes à feu étaient généralement plus susceptibles d'en posséder une plus tard. Les données collectées sur les pères des répondants révèlent que 70 % d'entre eux possédaient une carabine ou une arme d'épaule pendant l'enfance et l'adolescence du détenu et 57 % possédaient une arme de poing. Pour la moitié des détenus, c'est leur père qui leur a enseigné à tirer. Ces pères étaient essentiellement des chasseurs et des tireurs respectueux de la loi qui initiaient leurs enfants au maniement des armes à feu. Lizotte, Krohn, Howell, Tobin et Howard (2000) ont constaté que les jeunes dont les pairs portaient des armes à feu étaient beaucoup plus susceptibles d'en porter eux-mêmes. La proximité d'un gang de rue ou l'adhésion à un gang et la participation à des transactions de drogues illégales sont également des facteurs qui influent systématiquement sur la possession d'armes à feu illégales chez les jeunes (Lizotte et coll., 2000; Decker et coll., 1995, 1997). Melde, Esbensen et Taylor (2009) ont poussé l'étude plus loin et se sont intéressés à « l'hypothèse de la peur et de la victimisation » par rapport aux habitudes de port d'arme. Selon l'hypothèse, les personnes qui craignent d'être victimisées sont plus susceptibles de porter une arme à feu afin de réduire ce risque. Dans leur étude, Melde et ses collaborateurs ont collecté des données autodéclarées afin d'évaluer des élèves de la sixième à la neuvième année qui participaient à un programme de prévention de la victimisation dans différentes écoles aux États-Unis. L'échantillon était constitué de répondants relativement jeunes (en majorité de sexe féminin) et 10 % seulement ont déclaré porter une arme à feu, mais les auteurs ont constaté que l'implication dans la délinquance, l'adhésion à un gang et la prévalence du port d'armes à feu dans le groupe de pairs d'un jeune augmentaient la probabilité du port d'une arme à feu. D'autres données et des analyses plus poussées seraient nécessaires pour déterminer si ces constatations révèlent une incitation à l'autoprotection ou une simple tendance à l'imitation. Toutefois, et comme une discussion ultérieure des motivations à acquérir des armes à feu illégales le révélera, l'autoprotection fait partie des motivations les plus importantes à l'égard de la possession d'une arme à feu.

La proximité de gangs est également ressortie comme un facteur important dans l'une des rares études s'intéressant aux caractéristiques du marché des armes à feu à l'extérieur des États-Unis. Bennett et Holloway (2004) ont recueilli des données du programme New English and Welsh Arrestee Drug Abuse Monitoring (NEW-ADAM). Un sondage a été administré à des personnes appréhendées par la police et placées en détention. Dans l'ensemble, 25 % des répondants ont déclaré avoir déjà acquis ou possédé une arme à feu et 10 % ont déclaré l'avoir fait au cours de la dernière année. L'analyse bidimensionnelle révèle que les personnes appréhendées de sexe masculin et jeunes étaient plus susceptibles de posséder des armes à feu et qu'il existait une étroite corrélation entre l'adhésion à un gang et la possession d'armes à feu. Les délinquants ayant commis un vol qualifié ont été les plus nombreux à déclarer avoir possédé une arme à feu. Cependant, une analyse pluridimensionnelle a révélé que le sexe du répondant était le seul facteur significatif lié à la possession d'une arme à feu. Il est important d'en tenir compte, en ce sens que l'étude de Bennett et Holloway est l'une des rares études dans lesquelles ces facteurs ont été soumis à une analyse pluridimensionnelle.

Quelles armes à feu sont plus susceptibles d'être acquises illégalement?

Dans sa recension de la recherche, Kleck (1997) a constaté que les armes de poing sont la principale catégorie d'armes à feu utilisées à des fins criminelles. Il a également noté une préférence pour les modèles semi-automatiques. Des données d'enquête et les dossiers des saisies d'armes à feu le confirment. Par exemple, dans un échantillon d'armes saisies par le service de police de Los Angeles sur une période de trois mois en 1989, 50 % des armes de poing étaient des pistolets semi-automatiques. Des tendances similaires apparaissent hors des États-Unis. Dans l'étude que Bennett et Holloway (2004) ont menée en Angleterre et au Pays de Galles, 60 % des personnes appréhendées possédaient des armes de poing, 30 % des carabines et 25 % des armes à air comprimé. Les auteurs ont également constaté que les contrevenants n'avaient pas tendance à posséder divers types d'armes à feu, mais ils avaient tendance à posséder plus d'une arme à feu (la moyenne étant de 1,4 arme par personne).

Kleck soutient également que les préférences des contrevenants ressemblent à celles de la population de consommateurs non délinquants d'armes à feu aux États-Unis. Les données de l'enquête menée par Wright et Rossi (1986) étayent dans une certaine mesure l'affirmation de Kleck. Les répondants de l'échantillon de détenus ont déclaré préférer les armes de poing « sérieuses » qui sont précises, impossibles à retracer, bien faites, de gros calibre (plus de 32) et à forte puissance de tir. Toutefois, la recherche menée auprès d'adolescents et de jeunes adultes donne à penser que ce n'est pas forcément le cas. Wintemute, Romero, Wright et Grassel (2004) ont également constaté que les armes de poing sont l'arme de choix chez les jeunes adultes (représentant 74,6 % des armes récupérées) mais que la moitié de ces armes de poing étaient de calibre moyen (p. ex. 45). En outre, les jeunes contrevenants semblaient posséder des armes de poing de plus petit calibre (p. ex. 25).

Ruddell et Mays (2003) fournissent également des détails sur les types d'armes à feu que les jeunes contrevenants sont susceptibles de posséder. Les auteurs voulaient évaluer les croyances populaires et les représentations des médias selon lesquels les jeunes faisaient de plus en plus l'acquisition d'armes à feu plus meurtrières et sophistiquées. D'après leur analyse de 1 055 armes à feu confisquées par la police de St. Louis de 1992 à 1999, ce n'est pas le cas. Comme dans la plupart des études, l'échantillon était constitué aux trois quarts d'armes de poing (révolvers et pistolets semi-automatiques) et l'arme à feu la plus souvent saisie était le Saturday Night Special, une appellation qui désigne un vaste éventail d'armes de poing de petit calibre (calibre 25), peu coûteuses et de piètre qualité. Par ailleurs, 12,3 % des armes à feu récupérées étaient des armes à balles BB et des fusils à plombs (sans poudre propulsive). Les carabines à canon tronqué et les armes d'épaule représentaient entre 6,7 % et 12 % de l'échantillon de 1992 à 1999. Les armes de poing plus menaçantes ne représentaient que 5,8 % à 12,3 % des armes à feu récupérées annuellement et seulement six fusils d'assaut ont été récupérés pendant toute la période. Comme dans l'enquête de Wright et Rossi, les armes très menaçantes renvoient aux armes à feu de calibre moyen ou de gros calibre qui sont bien faites et fiables.

Les variations relatives aux préférences en matière d'armes à feu entre les échantillons de jeunes et d'adultes sont probablement révélatrices de la disponibilité variée et du développement de goûts particuliers qui apparaissent chez les consommateurs plus expérimentés. L'affirmation de Kleck selon laquelle la population délinquante et le marché illégal ressemblent probablement à leurs pendants non délinquants semble valide. Comme pour tout autre bien, les novices sont susceptibles d'acheter d'abord des produits de moins bonne qualité que l'on trouve plus facilement sur le marché : après tout, le Saturday Night Special est le symbole de la consommation massive d'armes à feu à des fins criminelles. À mesure que les consommateurs d'armes à feu illégales acquièrent de l'expérience, fréquentent d'autres consommateurs d'armes à feu et élargissent leur bassin de sources, leurs goûts évoluent et ils se laissent de plus en plus séduire par les avantages qu'offrent des armes à feu plus sophistiquées et de meilleure qualité. Malheureusement, aucune étude ne suit cette courbe d'apprentissage.

De quelle façon l'acquisition des armes à feu illégales se fait-elle?

L'accès aux différentes sources au sein du marché illégal détermine en grande partie qui peut acquérir des armes à feu et qui le fait, au bout du compte. Comme nous l'avons vu, il est plus probable que ces sources soient en étroite proximité relationnelle avec les acquéreurs. En outre, tandis que beaucoup de gens s'imaginent que l'acquisition d'armes à feu illégales se fait au terme d'une recherche menée dans un but déterminé, elle est plus souvent le résultat de circonstances imprévues ou fortuites. Dans la recherche que Morselli (2002) a menée auprès de détenus incarcérés dans des pénitenciers du Québec, les acquisitions opportunistes étaient légèrement plus fréquentes que les acquisitions planifiées (54 % contre 46 %). Les situations opportunistes étaient encore plus fréquentes lorsqu'elles impliquaient des sources décrites comme des membres de la famille ou des amis. Les circonstances dans lesquelles les gens se portent acquéreurs d'armes à feu découlent des réseaux sociaux dans lesquels ils évoluent et on ne devrait pas s'étonner que des personnes, dont des membres de la famille, des amis et des connaissances sont impliqués dans le marché des armes à feu illégales comme consommateurs ou fournisseurs, se trouvent plus souvent dans des situations qui déclenchent des acquisitions opportunistes.

Selon une grande partie de la recherche, de telles circonstances opportunistes semblent dominantes, comme le laisse croire la prévalence de liens étroits entre les acquéreurs et les personnes qui leur vendent des armes à feu. Dans l'échantillon de Wright et Rossi (1986), 40 % des répondants avaient acquis leur toute dernière arme de poing d'un ami, 14 % « dans la rue », 11 % d'un armurier, 6 % d'un prêteur sur gage, 5 % d'un receleur, 4 % de membres de la famille et 4 % d'un vendeur de drogue. Dans l'ensemble, cela représenterait 44 % d'un ami ou d'un membre de la famille, 26 % de sources du marché noir ou gris et 21 % de points de vente. L'importance des contacts étroits était constante pour ce qui est de l'acquisition de carabines et d'armes de poing, dont 55 % ont été acquises de membres de la famille ou d'amis, 31 % d'un point de vente et 12 % de sources du marché gris ou noir. Même lorsque l'acquisition de l'arme à feu découlait de vols, 31 % des armes avaient été volées à un membre de la famille et seulement 29 % à un étranger.

Ces résultats ont été confirmés dans les recherches qui ont suivi l'enquête de Wright et Rossi. Kleck (1997) décrit les sources d'armes à feu d'après les résultats d'une enquête menée en 1991 dans des prisons d'État et ils constatent que 31 % des armes à feu ont été obtenues d'un membre de la famille ou d'un ami, 28 % d'un vendeur de drogue, d'un receleur ou d'autres sources du marché noir, 27 % de points de vente légaux et 9 % par un vol. Même dans le sondage que Decker, Pennell et Caldwell (1997) ont mené auprès de personnes appréhendées dans 11 villes américaines, 55 % des répondants ont dit qu'il avait été facile d'acquérir illégalement des armes à feu; 37 % ont dit qu'il leur avait fallu moins d'une semaine et 20 % ont dit qu'il leur avait fallu moins d'un jour pour le faire. Les vols étaient une source plus importante d'accès à des armes à feu, en particulier chez les membres plus jeunes de l'échantillon.

Ces résultats concordent aussi avec ceux du sondage que Smith (1996) a mené auprès d'élèves du secondaire et de jeunes délinquants. Les constatations relatives aux sources des armes à feu indiquent que les vols étaient plus courants chez les jeunes délinquants (24 %) que chez les élèves (9 %). Comme dans la plupart des études, les élèves étaient plus susceptibles d'acquérir une arme à feu auprès d'amis ou de membres de la famille (35 % pour les jeunes délinquants et 40 % pour les élèves), puis auprès de sources de la rue et de sources du milieu de la vente de drogue, des sources beaucoup plus courantes dans l'échantillon des jeunes contrevenants (29 % contre 16 % pour les sources de la rue; 25 % contre 9 % pour les sources du milieu de la vente de drogue). Une faible proportion seulement des répondants ont déclaré avoir acquis leurs armes à feu dans des points de vente (jeunes délinquants : 7 % pour les armes de poing et 10 % pour les carabines; élèves : 12 % pour les armes de poing et 12 % pour les carabines). Les résultats varient également selon les types d'armes à feu. Les acquisitions opportunistes, qui se produisent sur l'impulsion du moment et qui sont essentiellement imprévues, impliquent rarement des armes de poing puissantes et sophistiquées ou des armes d'épaule. Des recherches (qui renvoient à des acquisitions découlant d'actes volontaires ou planifiés) sont rarement organisées pour les armes de chasse conventionnelles ou les armes de poing de petit calibre et bon marché.

Dans une étude qualitative menée auprès de 45 jeunes de 14 à 18 ans sélectionnés au hasard dans un établissement de détention au Maryland, Webster, Freed, Frattaroli et Wilson (2002) ont examiné à fond la question de savoir si l'acquisition d'armes à feu se fait lors de circonstances opportunistes ou au terme d'une planification. Les constatations de cette étude nous renseignent abondamment sur les modes d'apprentissage des consommateurs sur le marché illégal et des adaptations requises de leur part. L'étude était conçue de façon à permettre aux répondants de décrire leur première et leur dernière acquisition d'une arme à feu. Sur les 45 jeunes interrogés, seulement 29 possédaient une arme à feu avant leur incarcération en cours et 21 d'entre eux en possédaient plusieurs. En moyenne, les répondants possédaient environ trois armes à feu avant leur incarcération. Les différences entre la première et la dernière acquisition étaient révélatrices. Pour la première acquisition, 48 % des répondants ont déclaré que la recherche d'une arme avait était passive, en ce sens que bien que certains d'entre eux aient songé à acheter une arme à feu, ils n'étaient pas en fait à la recherche active d'une arme au moment de l'acquisition. Seulement 31 % des répondants ont dit qu'ils avaient cherché activement leur première arme. Les sources des premières acquisitions étaient habituellement des connaissances, des membres de la famille ou des amis. En fait, aucun répondant n'a déclaré avoir acquis une première arme à feu d'un étranger. La plupart des répondants ont aussi dit avoir payé moins de 100 $ (et parfois même aussi peu que 20 $) pour une arme de poing usagée de petit calibre. Les choses ont changé quand les répondants ont décrit leur dernière acquisition. Ils se sont décrits comme plus sélectifs que la première fois, soit parce qu'ils ne voulaient pas que l'arme soit liée à un acte criminel ou qu'ils croyaient que les armes à feu plus grosses et plus nouvelles étaient moins susceptibles de s'enrayer. Ils ont acquis des armes de poing neuves, de moyen ou de gros calibre et, par conséquent, une plus grande proportion d'entre eux ont payé plus de 200 $ pour leur acquisition la plus récente. Une fois encore, les sources de ces armes à feu étaient essentiellement des amis et des connaissances, mais un nombre important des répondants ont déclaré avoir acheté leur dernière arme à feu auprès de sources de la rue, par exemple de toxicomanes (n =5 ou 26 %).

Si les constatations issues des études antérieures concordent en général au sujet des sources d'armes à feu, des chercheurs ont fait des efforts additionnels pour examiner l'influence de sources clés dans le marché illégal. Par exemple Wachtel (1998) résume ainsi les constatations découlant de son étude des armes à feu récupérées à Los Angeles dans les années 1990 : [Traduction] « Nos constatations brossent un tableau considérablement différent de la redistribution des armes à feu que ce que la documentation nous avait donné à penser. Au lieu d'un marché essentiellement constitué de criminels à la petite semaine qui vendent des armes volées, nous avons trouvé un milieu constitué d'entrepreneurs autorisés et non autorisés qui achètent directement des armes à feu auprès de sources autorisées afin de satisfaire l'appétit de leurs clients pour des pistolets nouveaux de gros calibre ». (p. 234)

Par conséquent, s'il est courant que l'acquisition d'armes à feu survienne au cours de différentes circonstances opportunistes et volontaires au sein du réseau de contacts personnels d'un individu, des études ont montré l'importance des principaux fournisseurs d'armes à feu dans certains secteurs. En fait, des chercheurs ont aussi montré que la perte d'un important vendeur d'armes à feu illégales perturbera le marché des armes à feu dans un secteur donné. Webster, Vernick et Bulzacchelli (2006) ont examiné comment la décision volontaire d'un marchand d'armes à feu légitimes de Milwaukee de cesser de vendre des Saturday Night Specials en mai 1999 a modifié les pratiques de vente au détail et la disponibilité d'armes à feu à des fins criminelles. Au moyen de données sur la provenance des armes à feu, d'un schéma chronologique et de comparaison avec d'autres villes (St. Louis, Cleveland et Cincinnati), les auteurs ont constaté un effet considérable sur le marché des armes à feu illégales à Milwaukee. Avant la décision déterminante prise par le marchand, son magasin avait été lié à une forte proportion des armes à feu récupérées de contrevenants. Après l'intervention, la moyenne sur deux mois de Saturday Night Specials vendus par le magasin avait chuté à 0,8 (contre 14,4 avant cette décision) et la moyenne sur deux mois pour toutes les armes à feu vendues par ce magasin avait baissé à 10,2 (contre 17,9 avant cette décision). Quant aux effets sur le marché illégal comme tel, la moyenne sur deux mois de nouveaux Saturday Night Specials saisis par la police a chuté de 18,9 à 6,4. La baisse pour toutes les nouvelles armes à feu liées à des actes criminels est également révélatrice, soit une diminution de 33,5 à 19,1. Il n'y a pas eu de diminution comparable dans les autres villes. Même au terme d'une analyse pluridimensionnelle, les résultats ont été constants avec une diminution marquée de 96 % de Saturday Night Specials et de 42 % pour toutes les armes à feu vendues par le marchand, d'où une réduction de 71 % des nouveaux Saturday Night Specials récupérés après l'intervention et de 44 % de toutes les nouvelles armes à feu liées à un acte criminel. Cette étude donne à penser que dans certains secteurs, le marché illégal peut être structuré autour d'un ou deux marchands importants qui sont soit impliqués dans la vente exclusive d'armes illégales ou qui sont légalement inscrits et impliqués dans de nombreuses ventes non déclarées. La dernière option était plus évidente dans l'étude de Webster et ses collaborateurs à Milwaukee. Ces marchands importants auraient une incidence considérable sur l'étendue, la structure et le contenu du marché des armes à feu illégales, en particulier pour les consommateurs ne pouvant se procurer une arme à feu auprès d'amis et de membres de la famille.

Des décisions personnelles de cette nature de la part de marchands d'armes à feu sembleraient même plus efficaces que les interventions des forces de l'ordre dans le marché des armes à feu illégales. Dans une autre étude, Webster, Bulzacchelli, Zeoli et Vernick (2006) ont examiné l'évolution des pratiques de vente au détail après une série d'opérations d'infiltration policières et de poursuites. Les effets de ces interventions sur la circulation d'armes à feu dans le milieu des contrevenants ont été mesurés dans trois villes (Chicago, Détroit et Gary). Les opérations d'infiltration à Chicago ont été menées entre août et novembre 1998 et ont ciblé 12 marchands d'armes à feu. À Détroit, 15 opérations visant 12 marchands d'armes à feu ont été menées en mars et en avril 1999. Enfin, à Gary, des opérations ont été menées en juin et en juillet 1999. Les résultats ont été mitigés et beaucoup moins significatifs que l'effet révélé sur les pratiques de vente au détail dans l'étude de Milwaukee. Ce n'est qu'à Chicago que les auteurs ont constaté une baisse soudaine et significative, de l'ordre de 46 % au plan statistique, des nouvelles armes à feu liées à des actes criminels récupérées sur une période de suivi de 38 mois. Ces résultats confirment les constatations de Cook, Ludwig, Venkatesh et Braga (2006) selon lesquelles le marché des armes à feu illégales à Chicago est peu structuré, fragile et constitué de sources peu nombreuses, de sorte que les armes à feu illégales coûtent deux fois plus cher que les armes à feu légales. Dans de tels contextes, les auteurs soutiennent qu'il y a des coûts importants liés à la recherche d'une arme à feu sur le marché. Dans le contexte de Chicago, cette situation a donné lieu à l'apparition de voleurs professionnels d'armes à feu et à la création d'un réseau local de courtiers spécialisés dans la recherche d'armes à feu pour des particuliers. Les coûts liés à la recherche de l'arme à feu incitent également les sujets à « louer » une arme à feu d'amis, de membres de la famille ou de connaissances au lieu d'en acheter ou d'en acquérir une d'une quelconque autre façon.

L'évaluation que Braga, Cook, Kennedy et Moore (2002) font du marché des armes à feu illégales laisse entrevoir un scénario similaire. Les auteurs se concentrent sur le rôle « direct ou indirect » que des marchands d'armes à feu autorisés par l'administration fédérale (les Federal Firearm Licensees, ou FFL) jouent à titre de sources du marché illégal aux États-Unis. Les auteurs soutiennent que [Traduction] « la répartition de la taille des trafiquants peut ressembler à la distribution de la taille des FFL. La grande majorité des FFL, même ceux qui sont actifs, ne vendent qu'un petit nombre d'armes à feu chaque année. Toutefois, la plupart des ventes annuelles sont le fait d'un petit nombre de FFL importants. De même, le marché illicite peut être constitué d'un grand nombre de petits opportunistes éphémères et de quelques grands opérateurs, ces derniers étant responsables du gros des ventes » (p. 336). Cette conclusion est également confirmée par une étude antérieure dans laquelle Braga et Kennedy (2001) ont étudié des dossiers compilés par le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives (le BATFE) des États-Unis. Les données analysées dans cette recherche étaient basées sur les armes à feu récupérées au cours de 648 enquêtes menées de 1996 à 1998. Dans l'ensemble, 50,9 % des armes à feu récupérées au cours de ces enquêtes criminelles avaient été acquises par l'intermédiaire d'un prête-nom (une personne qui fait un achat pour un acheteur non autorisé); une part importante des armes à feu récupérées avaient aussi été volées chez des détaillants (20,7 %) et dans des résidences (13,6 %); et seulement 6 % provenaient de marchands autorisés. Sur les 571 achats recensés dans cet échantillon, faits par l'intermédiaire d'un prête-nom, 47 % des intermédiaires étaient un ami de l'acquéreur, 29 % un partenaire d'affaires, 22 % un parent, 18 % un conjoint et 7,5 % un associé dans un gang.

Que ce soit comme fournisseurs directs ou comme acheteurs par intermédiaire, l'importance des sources au sein des réseaux personnels pour acquérir des armes à feu illégales est soulignée dans la plupart des études et doit faire l'objet d'un examen plus approfondi dans le contexte canadien. Une meilleure compréhension des modes d'acquisition sur le marché des armes à feu illégales pourrait servir de point de départ pour établir des stratégies adaptées d'application de la loi. Plus que dans les marchés conventionnels, les réseaux sociaux sont essentiels dans les marchés illégaux parce qu'ils comblent les vides laissés par l'absence de vendeurs et de fournisseurs conventionnels. Pour savoir comment des gens achètent illégalement des armes à feu, nous devons chercher à savoir « qui ils connaissent » à cette fin et examiner comment leurs réseaux sont structurés de manière à optimiser leur quête. La présente recherche réalisera cet objectif en gardant les projecteurs braqués sur les réseaux personnels des répondants, ce qui nous permettra de situer les acquisitions d'armes à feu illégales dans une sphère de contacts plus large. En s'intéressant également aux intermédiaires possibles qui orientent les personnes à la recherche d'armes à feu illégales, une telle démarche illustrera également l'étendue et l'éventail des canaux indirects menant vers différentes sources. En fait, la plupart des chercheurs qui étudient les marchés d'armes à feu illégales estiment qu'il faudrait étudier plus à fond les réseaux des personnes qui acquièrent des armes à feu par ces canaux. De nombreux chercheurs se sont penchés sur ces canaux et en ont constaté l'importance, mais peu d'entre eux les ont étudiés de façon systématique.

Pourquoi des gens acquièrent-ils illégalement des armes à feu?

La plupart des chercheurs conviennent que l'autoprotection est la principale raison qui explique l'acquisition illégale d'armes à feu. Dans l'échantillon de Wright et Rossi (1986), 58 % des répondants ont dit que la protection était la principale motivation derrière l'acquisition de leur arme de poing la plus récente, tandis que 28 % ont dit l'avoir achetée pour la perpétration de crimes. En ce qui concerne les armes d'épaule, la chasse était la principale motivation. Morselli (2002) a aussi constaté que la protection est une motivation importante chez les détenus qu'il a interviewés. Toutefois, ses entretiens ont révélé que les délinquants avaient acquis des armes à feu pour se protéger non seulement contre d'autres délinquants, mais contre des agents des forces de l'ordre et, potentiellement, des victimes armées. Dans le sondage que Decker, Pennell et Caldwell (1997) ont mené auprès de personnes appréhendées, les deux tiers de celles-ci ont dit que la protection et l'autodéfense étaient leurs principales motivations; 22 % ont dit qu'elles avaient parfois acquis des armes à feu pour le tir à la cible. La perpétration d'un acte criminel n'était pas une motivation habituelle. Même chez les jeunes, la protection ressort comme la principale raison d'acquérir des armes à feu. Dans l'étude de Smith (1996), tant les délinquants que les élèves de l'échantillon ont dit que l'autoprotection était la principale raison de posséder une arme (74 % contre 70 %).

Melde, Esbensen et Taylor (2009) se sont intéressés au motif de la protection en examinant « l'hypothèse de la peur et de la victimisation » et son influence sur le port d'armes à feu. Toutefois, leurs constatations sont paradoxales, en ce sens qu'ils ont observé une relation inverse entre la peur de la criminalité et le port d'armes (plus la peur est grande, moins le port d'armes est fréquent). La peur était en fait plus grande chez les participants plus âgés, mais ceux qui portaient des armes à feu ont rapporté les niveaux de peur les moins élevés. Les auteurs ont affirmé que la peur n'était pas un facteur déterminant (p. 370), mais ils ont également nuancé leurs conclusions en soulignant que le risque de victimisation était étroitement associé au port d'armes, mais pas à un niveau aussi élevé pour les délinquants n'ayant jamais été victimisés. L'étude de Bennett et Holloway (2004) semblerait corroborer ce point concernant l'expérience antérieure, en ce sens que les raisons qui ont poussé les sujets de l'échantillon en Angleterre et au Pays de Galles à acquérir des armes à feu étaient moins axées sur l'autoprotection. Le tiers seulement des délinquants dans cet échantillon ont dit avoir acquis une arme à feu à cette fin; le cinquième avaient acquis une arme à feu pour commettre un acte criminel et le quart ont cité d'autres raisons, comme l'intimidation, le plaisir, la revente ou dans un rôle d'intermédiaire.

La perpétration d'un crime n'était pas la motivation la plus importante pour acquérir une arme à feu, mais au moins un projet de recherche a scruté la question de façon un peu plus approfondie. Decker et Pennell (1995) ont constaté que 24 % des personnes appréhendées qui avaient déjà possédé une arme à feu ont dit qu'ils l'avaient utilisée pour la perpétration d'un acte criminel. Ce segment de l'échantillon était constitué essentiellement d'adolescents et le tiers des membres de ce groupe avaient fait feu au cours de l'acte criminel. Dans leur étude de suivi, Decker, Pennell et Caldwell (1997) ont aussi constaté que 23 % des répondants avaient utilisé une arme à feu pour commettre un acte criminel. Cette proportion était plus élevée dans trois sous-échantillons : 33 % des adolescents, 50 % des vendeurs de drogue et 42 % des membres d'un gang avaient utilisé une arme pour commettre un acte criminel. Du point de vue des victimes, des répondants ont aussi fait état de la mesure dans laquelle ils avaient été menacés ou victimisés par des gens qui avaient brandi des armes à feu. Dans l'ensemble, 59 % de l'échantillon avaient été menacés d'une arme, deux sur cinq avaient essuyé des tirs et 16 % avaient été blessés par balles. Le résultat le plus important au sujet des motivations et de l'utilisation des armes à feu est le fait que dans leur échantillon, Decker et ses collaborateurs ont constaté que non seulement la possession et l'utilisation d'armes à feu étaient tolérées chez les personnes appréhendées, elles étaient la norme, puisque 28 % des membres de l'échantillon ont dit que la possession d'une arme permet de gagner le respect de leurs pairs. Ce résultat final peut découler du besoin perçu de protection. Toutefois, les sujets n'étaient pas portés à utiliser une arme à feu sans raison valable : seulement 9 % étaient d'accord avec l'énoncé selon lequel il est acceptable de faire feu sur une personne qui vous a manqué de respect, tandis que 28 % jugeaient acceptable de faire feu sur une personne qui vous a blessé.

Politiques, pratiques et prolongements

Il y a eu d'abondantes études sur les pratiques et les politiques visant à contrôler (ou ne pas contrôler) les armes à feu dans différents pays, en particulier aux États-Unis. La plupart des études se concentrent sur l'utilisation des armes à feu et peu d'entre elles s'intéressent au processus d'acquisition proprement dit. Toutefois, les auteurs d'une étude ont examiné le point de vue personnel de contrevenants qui utilisent des armes à feu et il vaut la peine d'en parler ici. Unnithan, Pogrebin, Stretesky et Venor (2008) ont mené 73 entretiens auprès de détenus ayant commis des crimes mettant en jeu des armes à feu (dont 8 % de femmes) et sollicité leurs opinions sur la loi du Colorado, adoptée en 2003, sur le droit présumé de porter une arme à feu dissimulée, qui facilite l'obtention d'un permis de port d'armes pour les particuliers. Seulement 40 participants ont répondu aux questions portant sur la loi. Tous, sauf trois, connaissaient la nouvelle loi; 35 % étaient en faveur de la politique tandis que 55 % étaient contre (les autres étaient indécis). Ceux qui étaient en faveur de la loi croyaient qu'elle réduirait la criminalité puisque la probabilité que des victimes potentielles portent une arme à feu dissimulée augmenterait. Des répondants étaient aussi en faveur de la loi parce qu'ils y voyaient une chance de se voir délivrer un permis (essentiellement pour leur protection) – ils n'avaient pas compris qu'en tant que contrevenants ayant commis un crime mettant en jeu une arme à feu, ils n'y avaient plus droit. Les contrevenants qui se sont prononcés contre la loi soutenaient qu'elle n'aurait pas d'effet de dissuasion et que la criminalité violente augmenterait. L'une des principales rationalisations à cet égard était que les contrevenants seraient plus susceptibles d'utiliser une arme à feu au cours de la perpétration d'un acte criminel pour éviter d'essuyer eux-mêmes des coups de feu. En général, ils estimaient qu'il y aurait une utilisation accrue des armes à feu en raison de la facilité à se les procurer.

Une autre préoccupation en matière de politiques qui ressort de la documentation spécialisée sur l'acquisition d'armes à feu et qui pourrait faire l'objet d'un examen plus approfondi pour répondre aux questions soulevées par la présente recherche concerne la façon dont des interventions particulières devraient être conçues en fonction de l'étendue et de la nature du marché des armes à feu illégales. Étant donné les différentes façons d'accéder au marché des armes à feu illégales, les méthodes pour limiter ces marchés devraient donc être différentes. L'intervention dans un marché où la compétition est faible et qui est organisé autour de quelques fournisseurs dominants – ou « fournisseurs fixes » selon l'expression que Cook et Braga (2001) emploient – est plus susceptible de cibler ces acteurs dominants, tandis qu'une intervention dans un marché qui offre de nombreuses façons de répondre à la demande s'appuie de préférence sur des contrôles aléatoires (Watts, 2003). Si les expériences individuelles en matière d'acquisition d'armes à feu illégales se concentrent sur les mêmes fournisseurs, nous sommes en présence du premier scénario. Si les expériences individuelles sont réparties entre différents fournisseurs pour des raisons opportunistes, nous envisageons le dernier scénario.

La recension des études nous a permis de rassembler une quantité substantielle de faits et d'idées qui guideront les objectifs de la présente recherche. Toutefois, la portée et les priorités des études antérieures n'ont pas permis de prendre en compte plusieurs objectifs, et c'est pourquoi le but général de la présente recherche consiste à combler ces lacunes au cours des entretiens menés avec des consommateurs d'armes à feu illégales au Québec.

Donc, nous disposons peut-être d'un inventaire solide de caractéristiques qui décrivent les consommateurs sur le marché des armes à feu illégales, mais nous avons besoin de davantage de détails sur la façon dont les expériences passées permettent d'améliorer le flair des consommateurs dans un tel contexte. En outre, nous connaissons peut-être un certain nombre de raisons pour lesquelles des gens acquièrent illégalement des armes à feu, et les moyens de le faire, mais nous ne savons pas pourquoi des gens préfèrent acquérir des armes à feu illégales au lieu d'armes à feu légales (bien entendu, pour ceux qui ne sont pas visés par une interdiction d'acquérir des armes à feu légales) et nous avons encore besoin d'approfondir la recherche sur les réseaux particuliers à la disposition de ceux qui cherchent à acquérir des armes à feu, ou qui ont des occasions de le faire. Nous avons aussi besoin de plus d'information sur la façon dont les prix sont réglementés et sur les principaux moyens et déterminants des échanges, par exemple l'argent, des biens, le troc et des obligations sociales. Quant aux motivations pour l'acquisition d'armes à feu, les recherches antérieures ont systématiquement souligné le besoin des contrevenants de se protéger. Nous examinerons plus à fond cet élément afin de déterminer dans quelle mesure les personnes qui acquièrent des armes à feu pour se protéger sont les mêmes qui insufflent la peur en pratiquant l'intimidation avec leur arme. En ce qui concerne les armes à feu mêmes, les recherches antérieures se sont limitées à la mesure dans laquelle l'historique d'une arme peut influer sur la probabilité de son acquisition. Les études plus récentes que nous avons passé en revue dans la section sur les politiques et les pratiques montrent qu'il est possible de demander aux contrevenants de s'exprimer sur le contrôle des armes à feu, ce qui n'a pas encore été fait dans le contexte canadien. Des indications quant à la façon dont les acquéreurs d'armes à feu illégales réagissent à l'enregistrement des armes à feu et à d'autres interventions visant le marché des armes à feu nous éclaireraient manifestement sur les incidences possibles des politiques à cet égard, une information qu'il est impossible d'obtenir auprès de consommateurs conventionnels.

Description de l'échantillon

Nous avons interviewé 20 hommes sur leur expérience de l'acquisition illégale d'armes à feu au Québec. Treize d'entre eux étaient incarcérés dans des pénitenciers fédéraux dans la région de Montréal. Le reste de l'échantillon était constitué de sept hommes non incarcérés. Ce segment de l'échantillon offrait une chance exceptionnelle de collecter des renseignements sur des armes à feu illégales acquises par des personnes qui ne seraient pas considérées comme des contrevenants, du moins pas dans une quelconque classification officielle.

L'analyse globale portera sur les caractéristiques des 20 acquéreurs d'armes à feu illégales, des 72 contextes transactionnels et des 80 armes à feu dont ils ont fait l'acquisition. Tous les entretiens, sauf un, se sont déroulés en français. Les extraits des commentaires qui sont présentés dans la présente étude sont des adaptations des commentaires originaux.

Les entretiens ont été menés au cours de la période d'avril à juin 2010. En moyenne, les répondants avaient 36 ans. Le plus jeune avait 21 ans et le plus vieux, 53 ans. Sept d'entre eux avaient fait des études postsecondaires (CEGEP ou université). Huit répondants ont dit qu'ils avaient obtenu un diplôme d'études secondaires. Les cinq autres n'avaient pas terminé le secondaire. Les détenus interviewés dans le cadre de l'étude avaient commencé à purger leur peine entre 2001 et 2009, laquelle variait de trois ans à la perpétuité pour des crimes aussi graves qu'un double homicide, un vol à main armée et le gangstérisme, et pour des infractions moins graves, comme la possession de drogue. Toutes les personnes interviewées ont été recrutées sur une base volontaire. En ce qui concerne les répondants incarcérés, nous avons établi des contacts préliminaires avec des gestionnaires de cas dans des pénitenciers fédéraux au Québec qui nous ont recommandé certains détenus de leur charge de cas respective qui, à leur avis, satisferaient aux besoins de l'étude. Ces gestionnaires de cas ont ensuite organisé des rencontres pour permettre à l'intervieweur de présenter aux détenus la recherche de façon plus détaillée. Si le détenu se montrait alors intéressé à participer, l'entretien avait lieu sur-le-champ. En plus des 13 hommes qui ont participé à l'étude, 6 autres ont été sollicités mais ont refusé de participer. Le recrutement des répondants libres a été rendu possible par l'intermédiaire d'un contact d'un des intervieweurs qui connaissait bien des collectionneurs d'armes à feu. Il a organisé les rencontres et les entretiens avec sept répondants. Nous n'avons essuyé aucun refus de la part des personnes, faisant partie du segment libre de l'échantillon, qui ont été sollicitées à participer à l'étude.

Les sept répondants qui n'avaient jamais été incarcérés ont révélé un élément important qui doit sous-tendre toute l'étude. S'ils étaient tous des acquéreurs actifs d'armes à feu illégales, aucun d'entre eux n'avait d'antécédents criminels, trois seulement ont dit consommer de la drogue (cannabis) à l'occasion et deux ont dit avoir été mêlés à des vols au cours d'une brève période de leur passé. Un point important sur lequel ce petit groupe de répondants insiste est le fait que les acquéreurs d'armes à feu illégales ne sont généralement pas des délinquants connus et c'est ce qui ressort également de l'examen du vécu du segment incarcéré de l'échantillon, dont aucun n'avait été incarcéré ni même appréhendé au moment où ils s'étaient portés acquéreurs de la plupart de leurs armes à feu illégales. Par conséquent, il ne s'agit pas ici d'une étude de délinquants et de leurs expériences sur le marché des armes à feu illégales. Il s'agit d'une étude menée auprès de personnes qui ont acquis des armes à feu illégales, dont certaines sont devenues des délinquants. La décision de mener l'étude essentiellement dans un contexte pénitentiaire visait davantage à faciliter le travail sur le terrain qu'à orienter l'étude vers la population de consommateurs la plus active. À ce stade, il est difficile de déterminer dans quelle mesure la demande d'armes à feu illégales émane de personnes qui n'ont pas d'antécédents criminels et qui sont essentiellement « d'honnêtes » citoyens. Cependant, il est clair que le bassin de consommateurs est loin de se limiter aux délinquants qui cherchent à se procurer des armes à feu pour commettre des crimes. Même parmi les répondants qui avaient des antécédents criminels (le groupe des participants incarcérés), leur implication dans la criminalité variait considérablement. Cinq répondants seulement ont dit avoir des liens avec le crime organisé ou des membres de gangs. Les huit autres répondants incarcérés avaient été impliqués dans des vols à main armée ou n'avaient aucun antécédent criminel avant les crimes ayant mené à leur incarcération actuelle. Il faut souligner que pour ce dernier groupe de « délinquants qui en étaient à leur premier crime », les crimes en question étaient directement liés à la possession d'une arme à feu.

Par conséquent, l'échantillon peut être divisé en trois groupes en fonction des mondes sociaux distincts qui sont intimement liés au marché des armes à feu illégales. Un groupe est constitué de sept répondants non incarcérés (libres) qui étaient des consommateurs actifs d'armes à feu et qui, à l'occasion, ont cherché à obtenir des armes par des voies illégales pour satisfaire leur passion et ajouter à leur collection respective. Le deuxième groupe compte huit répondants incarcérés qui n'avaient pas d'implication criminelle grave et pour qui les armes à feu illégales n'étaient pas une partie importante de leur vie quotidienne. Le troisième groupe est constitué de cinq répondants incarcérés qui étaient plus actifs et organisés dans le milieu criminel. Par « organisés », nous entendons des individus pour qui la criminalité était un mode de vie actif et rentable mais qui ne sont pas forcément membres d'une organisation criminelle. Pour ce dernier groupe, la possession d'une arme à feu faisait habituellement partie de leur vie, en ce sens qu'une arme était généralement présente dans leurs habitudes et leurs interactions quotidiennes.

Il a d'abord été décidé d'omettre de l'étude les acquisitions survenues avant 2000. En limitant l'échantillon aux personnes qui avaient été incarcérées après 2000, nous voulions nous assurer d'obtenir un portrait aussi actuel que possible des expériences relatives aux armes à feu illégales et de limiter l'échantillon à un nombre raisonnable qu'il serait possible de gérer à l'intérieur d'une séance d'entretien d'une à deux heures. Nous avons changé d'avis après les trois premiers entretiens parce que les répondants ne faisaient pas état d'acquisitions nombreuses et qu'il devenait de plus en plus évident que pour obtenir une évaluation claire du processus par lequel une personne passe pour devenir un consommateur d'armes à feu illégales, il était nécessaire d'obtenir des renseignements sur toutes les armes à feu acquises au cours de leur vie (et non dans une période restreinte).

La plupart des répondants n'ont eu aucune difficulté à se remémorer les détails entourant les transactions passées relatives à des armes à feu illégales. Les acquéreurs les plus passionnés s'y connaissaient bien en matière d'armes à feu et étaient heureux de faire étalage de leurs vastes connaissances au cours des entretiens. Pour d'autres répondants, des consommateurs d'armes à feu moins actifs, certains détails leur échappaient, comme la marque ou le calibre de l'arme. Tous les membres de l'échantillon se sont souvenus des détails concernant les prix ou des contacts qu'ils ont utilisés pour obtenir des armes à feu. Pour certains répondants, qui avaient accès régulièrement à des armes à feu, il était impossible de se remémorer chaque acquisition. Comme le répondant 17 (R17), un ancien motard, l'a expliqué : « Vous savez, j'aimerais tout vous dire, mais je ne vois pas comment je pourrais vous raconter toutes les transactions pour toutes les armes à feu que j'ai eues pendant ces années. Je ne serais jamais capable de la faire ». Dans ce cas, l'entretien s'est concentré sur les acquisitions d'armes à feu dont il se souvenait. Ce problème méthodologique s'est révélé un obstacle mineur, en ce sens que les six acquisitions dont il se souvenait ont été décrites avec force détails et, comme il l'a expliqué, elles étaient représentatives de la façon dont la plupart de ses acquisitions s'étaient déroulées.

Outre les problèmes de mémoire des répondants, il faut prendre en compte d'autres limites au moment de l'évaluation des résultats que nous présenterons dans les sections subséquentes. Premièrement, l'échantillon est petit. Il s'agit d'un échantillon opportun de détenus et de répondants libres qui se sont portés volontaires pour participer. Bien que les expériences dont ces répondants nous ont fait part soient riches et révèlent un monde qui a été très peu étudié, particulièrement dans le contexte canadien, nous ne pouvons en tirer que peu de généralisations sur les expériences du marché illégal dans son ensemble. Une enquête plus étendue portant sur un échantillon aléatoire de la population de détenus et un échantillonnage en boule de neige plus élaboré d'acquéreurs libres serait nécessaire pour lever cette réserve. Deuxièmement, un échantillon de détenus n'est pas représentatif de la population criminelle en général et il est difficile de déterminer exactement ce qui est représentatif d'une population de détenus. Des études antérieures ont donné lieu à un débat secondaire à savoir si les détenus représentent des délinquants qui ont réussi ou qui ont échoué. Peu de données probantes sont disponibles pour trancher la question d'un côté ou de l'autre. Wright et Rossi (1986) ont affirmé que leur échantillon était probablement représentatif des délinquants endurcis ou sérieux. Après avoir interviewé des cambrioleurs non incarcérés à St. Louis, Wright et Decker (1997) ont soutenu que par définition, les détenus sont des criminels ratés (p. 7). Il serait difficile de se ranger d'un côté dans ce débat. Ce qu'il est important de clarifier à ce stade-ci c'est que, bien que la présente étude repose sur des délinquants incarcérés, au moment de l'entretien nous avons recueilli des renseignements sur les années qui ont précédé leur incarcération et nous avons aussi mis en évidence les expériences criminelles de ces détenus alors qu'ils étaient des contrevenants libres et actifs. Par ailleurs, une analyse récente d'un échantillon de détenus comporte des délinquants novices et chevronnés, ce qui donne à penser que s'il n'est pas clair qu'un échantillon de détenus représente l'éventail des délinquants dans son ensemble, les prisons et les pénitenciers sont effectivement remplis de tous les types de délinquants (Morselli et Tremblay, 2010).

Expériences antérieures des armes à feu

Pour la plupart des répondants, il a été nécessaire de remonter au-delà de la période de dix ans (avant 2000) pour retracer les acquisitions d'armes à feu illégales parce que leur première exposition à des armes à feu a eu lieu dans un contexte familial alors qu'ils étaient des adolescents (habituellement vers 13 ou 14 ans). Ces premières expériences consistaient généralement en une expédition de chasse avec leur père ou leur oncle, au cours de laquelle ils s'étaient vu offrir leur première chance de tirer. C'était particulièrement le cas pour les répondants qui avaient grandi en région rurale, mais certains résidents urbains ont aussi relaté des expériences similaires. La plupart des répondants (85 %) venaient de milieu urbain, en particulier de la région de Montréal. Pour ces répondants venant de milieu urbain qui n'ont pas eu leurs premières expériences avec des armes à feu dans un contexte de chasse, le scénario typique mettait en scène un ou plusieurs amis qui possédaient une arme à feu. Ils ont décrit ces premières expériences comme de simples séances de jeu dans lesquelles ils s'exerçaient à tirer (habituellement avec une arme de poing bon marché ou une carabine usagée) à tour de rôle avec leurs amis.

Nous pourrions décrire quatre des répondants comme des « retardataires », en ce sens que leurs premières expériences avec des armes à feu étaient étroitement liées à leurs premières acquisitions. Auparavant, ils ne s'intéressaient pas aux armes et n'étaient pas proches d'une personne qui aurait pu les exposer à des armes à feu. Pour certains répondants, comme R4, l'exposition à des armes à feu est survenue beaucoup plus tard : « Mes parents étaient des hippies, des pacifistes. Ils étaient contre les armes à feu. La première fois que j'en ai vu une, c'était chez mon oncle en Floride. Il était un hippie qui fumait du pot. Assez souvent, il allait camper seul et il apportait une arme à feu pour se protéger. Mis à part cet oncle, je n'ai connu personne qui avait des armes avant qu'on m'offre ma première. »

Pour d'autres, l'exposition initiale à une arme à feu était directement liée au début de leur carrière criminelle. L'expérience de R6 illustre un tel scénario : « J'avais 13 ans la première fois que j'ai vu une arme à feu. C'était avant qu'on m'envoie en centre de réadaptation. Je vivais avec des amis et ils avaient beaucoup d'armes parce qu'ils volaient des banques, des bijouteries et tout ce qu'ils pouvaient trouver. J'avais l'habitude de les observer quand ils préparaient leurs vols. Ils étaient beaucoup plus âgés que moi, environ 24 ou 25 ans. (...) Donc, c'est ainsi que les choses ont commencé. Je les regardais charger leurs fusils de chasse à canon tronqué. Ils avaient aussi un AK47. Quand je voyais tout ça, je me sentais comme un enfant avec toute une série de nouveaux jouets ».

Quatre autres répondants rapportent un autre déclencheur important de l'exposition aux armes à feu; la première expérience remonte à leur entrée dans l'armée. Par exemple R11 n'avait aucune passion pour les armes à feu jusqu'à ce qu'il s'enrôle dans l'armée à l'âge de 19 ans. C'est appris qu'il a appris que les armes à feu pouvaient être « amusantes ». Après avoir quitté l'armée, il est devenu de plus en plus actif sur les sites de clavardage avec d'autres adeptes des armes à feu. Il est également devenu membre d'un champ de tir. R8 s'est enrôlé dans l'armée pour alimenter son désir de porter une arme au quotidien. Pendant cette expérience, il a été formé au combat et il s'est familiarisé avec différentes armes de poing, carabines de tireur d'élite et mitraillettes. C'est au cours de cette période que R8 a découvert à quel point il était bon tireur. Lorsqu'il a décidé de ne pas renouveler son contrat avec l'armée, son seul regret était qu'il ne pourrait plus utiliser certaines des armes qu'il avait utilisées en tant que soldat. Au fil du temps, il a toutefois découvert de nouvelles avenues pour avoir accès à ces armes. R19 a aussi relaté une expérience similaire : « Très jeune, je me suis enrôlé dans l'armée de réserve. J'étais dans un cours de tireur d'élite. Donc, voyez-vous, j'avais 15 ans et j'avais déjà un contact concret avec des armes bien réelles. J'ai fait partie de la réserve pendant environ deux à trois ans. Toutes les fins de semaine, j'allais suivre l'instruction militaire et m'exercer à tirer. J'adorais tout simplement tirer. Nous utilisions des carabines – des FN. C'est ce que l'armée utilisait avant les C7 ».

Les expériences militaires ont aussi débouché sur les premières transactions. R12, par exemple, a décrit comment lui et des amis vendaient parfois des armes à feu et des explosifs à des groupes criminalisés alors qu'ils étaient dans l'armée : « Rien de gros : nous parlons d'environ cinq ou six articles à la fois, peut-être deux ou trois fois ». C'est au cours de cette période que lui est venue l'idée qu'il pourrait acquérir toutes les sortes d'armes à feu qu'il désirait s'il connaissait les bonnes personnes. Depuis qu'il a quitté l'armée, il est demeuré un consommateur régulier sur le marché des armes à feu illégales, mais seulement pour son utilisation personnelle.

Les expériences militaires ne sont pas les seuls contextes professionnels dans lesquels des gens deviennent de plus en plus séduits par l'attrait des armes à feu. R14 ne s'est jamais enrôlé, mais il a décrit une expérience similaire à celle des répondants précédents. Après avoir abandonné le collège à 20 ans, il s'est adressé à un ami de la famille qui était marchand d'armes à feu pour lui demander un emploi. À l'époque, il ne connaissait pas grand-chose aux armes à feu mais son nouvel employeur lui a rapidement communiqué sa passion et lui a donné la formation nécessaire. Pendant cette période, il a pu manipuler un éventail d'armes à feu et acquérir des connaissances sur les différents modèles et calibres disponibles. C'est à cette époque que R14 est devenu un collectionneur d'armes à feu et il continue d'entretenir activement des rapports avec d'autres « adeptes des armes à feu » qu'il a rencontrés dans des groupes de discussion sur Internet ou dans des champs de tir et avec son mentor, fournisseur d'armes à feu, avec qui il a gardé contact.

Ces antécédents différents sont également essentiels pour comprendre comment les acquéreurs en viennent à être intégrés dans un contexte social particulier qui influera probablement sur l'accès et les réseaux qui se créeront pour leur permettre d'obtenir illégalement des armes à feu. Ces répondants pour qui la passion pour les armes à feu s'est manifestée au cours de leur séjour dans l'armée ont effectivement affirmé que ce contexte les a exposés à d'autres personnes qui partageaient une passion similaire et avec lesquelles ils ont entretenu des rapports après avoir quitté l'armée. Ceux qui ont acquis leurs expériences antérieures en région rurale ont aussi révélé des prolongements similaires à leur base de contacts et à leur accès général aux armes à feu. Par exemple R1 n'a pas tardé à souligner que ce n'était pas très difficile de trouver des armes à feu dans la région où il habitait. La région du Saguenay/Lac-Saint-Jean est beaucoup plus rurale que les régions entourant Montréal et Québec, et la possession et l'utilisation d'armes à feu y sont beaucoup plus courantes. Il n'y a aucun doute qu'une telle culture facilitera l'accès aux armes à feu pour les intéressés. Ce serait particulièrement le cas de tout acquéreur qui s'accommoderait de l'acquisition de carabines ou de fusils de chasse par des voies non officielles.

Fournisseurs fixes

Les répondants ont décrit une multitude d'occasions au cours desquelles ils ont acquis leurs armes à feu illégales. Les forces de l'ordre et les décideurs se sont généralement attardés à repérer les principales sources ponctuelles qui servent de points de convergence pour quiconque veut obtenir une arme à feu. Dans la région de Montréal, on soupçonne que les marchands les plus notoires dans ce marché illégal fonctionnent à partir de réserves autochtones, comme Kahnawake, Kanesatake et Akwesasne, situées à proximité de la ville. Même s'il a été question de ces voies d'approvisionnement tout au long des entretiens, une certaine ambiguïté demeure concernant l'accès à ces fournisseurs, la qualité de leurs armes et leur importance à titre de sources sur le marché illicite.

Curieusement, les répondants qui avaient le plus d'expérience de l'acquisition d'armes à feu auprès de fournisseurs dans des réserves autochtones étaient ceux qui n'avaient jamais été incarcérés. Ils ont tous décrit la difficulté initiale de devenir client. Par exemple R12 est devenu un visage familier dans les réserves en achetant des cigarettes de contrebande auprès du même groupe de personnes qui fournissaient aussi des armes à feu. Bien entendu, l'achat d'une arme illégale était son objectif principal. À la question de savoir pourquoi il avait décidé d'aller dans une réserve voisine lorsqu'il a voulu acquérir une arme à feu, il a répondu qu'il s'était simplement fié aux perceptions populaires sur ces questions et il est allé à la recherche d'une arme dans ce qui lui semblait l'endroit le plus évident pour le faire. R12 n'a pas tardé à prendre conscience que l'acquisition d'une arme à feu auprès de ces sources n'était pas une mince tâche. Son expérience donne à penser que les réserves autochtones ne peuvent pas être des sources importantes parce qu'il y est trop difficile pour les consommateurs d'y acquérir leurs produits.

R14 a vécu une expérience similaire avec les réserves autochtones. Au cours de sa première tentative pour trouver un fournisseur dans une réserve, il s'y est simplement rendu et il a commencé à demander aux gens s'ils connaissaient quelqu'un qui vendait des armes. Il savait que ce n'était pas la meilleure stratégie, mais il espérait que ses connaissances des armes à feu l'aideraient et que quelqu'un ne refuserait pas, ou au pire, lui vendrait une arme de piètre qualité à un prix ridicule. Il a décrit sa première visite dans la réserve comme une catastrophe. Il cherchait un Smith and Wesson 357 Magnum. Personne ne lui accordait la moindre attention et un type l'a presque expulsé pour avoir même mentionné des armes à feu, mais il n'a pas renoncé et une semaine plus tard, il est retourné pour acheter des cigarettes et de l'alcool dans la même réserve. Il espérait que les différents fournisseurs de biens de contrebande s'habitueraient à le voir et constateraient qu'il était sérieux. Le stratagème a fonctionné, mais cela lui a pris sept mois de visites hebdomadaires. À un moment donné, un homme l'a conduit à son camion et lui a montré un révolver dissimulé sous un sac. Ce n'était pas le modèle qu'il recherchait et le prix demandé était de 550 $, ce qu'il jugeait trop cher. Il a fait une contre-offre à 100 $ de moins et le marché a été conclu. R14 a expliqué qu'il était prêt à payer pour une arme qu'il ne voulait pas vraiment en autant que cela lui permettait d'établir un contact.

Pour les répondants qui étaient liés à des groupes criminalisés ou affiliés à des motards, l'expérience était radicalement différente. R17 a dit qu'il avait acheté beaucoup d'armes de marchands de Kanesatake : « C'était la voie la plus facile. Ces gars ont des caisses d'armes à feu. La plupart sont toutes neuves. Tout ce que vous avez à faire, c'est leur dire ce que vous voulez et ils le trouvent pour vous. Mais ce n'est pas toujours vrai –au moins quatre fois j'ai placé une commande spéciale et ça n'a pas donné de résultat. Je dirais qu'ils livraient la marchandise une fois sur quatre. C'étaient de grands parleurs, mais ils ne tenaient pas toujours parole ». Comme R17 l'a précisé, son contact initial avec ces fournisseurs s'est fait par l'intermédiaire de ses contacts chez les motards : « Quelqu'un de l'organisation, un motard, m'y a conduit la première fois. Je ne me souviens pas pourquoi nous étions là, mais ce n'était pas pour acheter des armes. Quoi qu'il en soit, le type (son éventuel fournisseur d'armes) est venu à la rencontre et ils ont tous commencé à parler d'armes à feu. Je suis simplement resté en contact avec celui-ci après coup. » Les expériences de R17 donnent à penser que les difficultés que connaissent, à prime abord, de nombreux acquéreurs dans les rapports qu'ils cherchent à établir dans un réserve autochtone sont aplanies s'ils ont des relations de longue date avec des connaissances mutuelles, en particulier si ces connaissances mutuelles sont d'importants utilisateurs d'armes à feu, comme ce serait le cas du contact de R17 chez les motards.

R20, un autre motard, corrobore les dires de R17 selon lesquels les fournisseurs dans les réserves n'étaient pas toujours les plus fiables. C'est lui qui a relaté les expériences les plus négatives avec ses sources : « Leurs armes sont comme leurs cigarettes : elles sont bon marché. Quand je veux une arme, je ne veux rien de bon marché. Je veux une arme de qualité. On vous raconte probablement souvent au cours de vos entretiens que toutes ces armes viennent d'Akwesasne, pas vrai? Beaucoup de gens en parlent probablement, mais je pourrais vous dire que ça se voit quand une arme vient de là. Ils n'ont même pas les vraies marques. Ils n'ont que des clones bon marché, tout comme leurs cigarettes qui goûtent mauvais. Si je cherche un Smith and Wesson, je ne serai pas satisfait d'une quelconque marque bâtarde. Sérieusement, la marchandise qu'ils vendent, c'est de la merde ».

Mis à part les acquisitions faites auprès de fournisseurs dans les réserves autochtones, les répondants ont aussi décrit un certain nombre d'acquisitions faites chez des marchands d'armes à feu autorisés. Mais contrairement aux fournisseurs des réserves autochtones, ces marchands légitimes ne sont pas concentrés dans un territoire géographique circonscrit. L'acquisition d'armes à feu illégales chez un marchand d'armes à feu autorisé, de façon assez distinctive, se rapproche d'une acquisition faite auprès d'autres fournisseurs de canaux informels. Comme nous le verrons dans les sections suivantes, il est important de prendre conscience des nombreux chevauchements qui existent entre le marché des armes à feu illégales et le marché des armes à feu légales (par l'intermédiaire de fournisseurs autorisés qui font parfois des transactions illégales) et dans d'innombrables autres aspects de la vie quotidienne des intéressés. L'ambiguïté inhérente à cette dernière nuance est volontaire parce que dans bien des cas, au départ l'acquéreur n'était même pas à la recherche d'une arme à feu.

Recherches et occasions

Les études antérieures ont grandement contribué à nuancer l'éventail des contextes dans lesquels l'acquisition d'armes à feu illégales se produit. Si la plupart des répondants ont grandi ou habitent en milieu urbain, une légère majorité des acquisitions d'armes à feu (64 %) ont eu lieu en région rurale. Les distinctions les plus générales touchent le déclenchement du processus d'acquisition. Deux types d'acquisition sont ressortis des entretiens : 1) l'acquisition à la suite de recherches menées par l'acquéreur en vue de répondre à ses besoins et 2) l'acquisition opportuniste découlant d'une chaîne d'évènements ou d'occasions fortuites. Si l'opinion populaire concernant les transactions relatives aux armes à feu véhicule l'image d'intéressés qui cherchent à acheter un type particulier d'arme à feu, dans la réalité plus de la moitié (55 %) des acquisitions mentionnées au cours des entretiens étaient le résultat d'offres non planifiées.

Les répondants ont décrit plusieurs circonstances qui ont été déclenchées par des personnes de leur entourage. R4 a reçu un tuyau d'un de ses contacts l'informant qu'il connaissait un type qui voulait vendre son arme : « Une occasion s'est présentée. Un des vendeurs (de cannabis) qui travaillait pour moi m'a dit qu'un de ses clients avait une arme à vendre. Je lui ai rendu visite chez lui. C'est alors que j'ai appris que le client était aussi un vendeur de pot. Je lui ai fait confiance après ça : il venait du même milieu que moi, vous savez ». L'expérience de R6 illustre les nombreuses situations dans lesquelles un fournisseur d'armes déclenche le processus d'acquisition en faisant passer le message qu'il a des armes à feu à vendre : « J'avais 18 ans et j'ai acheté un 9 mm de lui. J'étais au bar et j'ai rencontré ces types que je connaissais. Nous venions du même quartier. Ils étaient mêlés au trafic d'armes, à la drogue et à d'autres choses du genre. Ils me connaissaient surtout de réputation et ils m'ont dit que si je cherchais une arme, tout ce que j'avais à faire, c'était de les appeler. Nous avons organisé une rencontre quelques jours plus tard. Ils m'ont vendu le 9 mm. Je n'avais pas d'argent et j'avais besoin de l'arme pour faire un peu d'argent ce qui me permettrait d'acheter un peu plus de drogue et de payer l'arme. Je leur ai dit que je leur donnerais un peu plus pour l'arme s'ils me la laissaient et s'ils attendaient d'être payés. Ils ont accepté, j'ai fait quelques holdups et je les ai payés ».

Le fait de tremper dans un milieu criminel augmente manifestement les chances de tomber sur de telles occasions, ce que R7 a confirmé : « Quand vous faites partie du milieu, vous recevez des offres comme celles-là une ou deux fois par semaines ». Les tendances globales qui sont ressorties au cours des entretiens l'ont aussi confirmé. Les répondants incarcérés étaient plus susceptibles de faire état d'acquisitions opportunistes. C'était particulièrement le cas des répondants qui ont déclaré des affiliations à des groupes criminalisés et à des gangs. Tous, sauf un, avaient acquis leurs armes de façon spontanée. Pour le seul répondant incarcéré (R15) qui a déclaré avoir fait une recherche, sa difficulté à se débrouiller dans le milieu est aussi devenue évidente : « J'ai demandé un peu partout, mais je ne pouvais pas en trouver une ou je n'avais pas d'argent pour en acheter. La situation a duré deux ans. Ce n'était pas facile de trouver une arme. Vous ne pouvez pas simplement interpeller quelqu'un et lui demander : Hé! Peux-tu me vendre une arme? Il faut que vous vous adressiez à des types que vous connaissez depuis longtemps, et même eux peuvent avoir des soupçons. Ils peuvent se fâcher si vous leur demandez de vous vendre une arme et ils peuvent même vous demander : Qu'est-ce que tu sais à mon sujet et pourquoi tu t'adresses à moi pour acheter une arme? Ils voudront savoir qui vous a dit de vous adresser à eux ».

La plupart des répondants qui ont cherché une arme à feu n'ont pas éprouvé de telles difficultés. Par exemple R5 a mentionné qu'il avait cherché une arme pour se protéger : « Quelques amis m'ont dit qu'ils connaissaient un type qui vendait des armes. Ce type vendait de tout : des armes, de la drogue, de la fausse monnaie – tout ce qui est illégal. Je le connaissais un peu parce que nous avions fréquenté la même école. Je suis donc allé le voir et j'ai eu ma première arme ». Pour ceux qui, comme R18, avaient des contacts solides dans le cadre de leurs activités criminelles, trouver une arme au besoin se résumait à en faire la demande à un contact proche : « Comment j'ai obtenu cette arme? J'ai demandé à mon cousin s'il en avait une. Je faisais beaucoup d'argent et je lui ai dit que j'avais besoin de quelque chose pour me protéger. Mes affaires prenaient de l'expansion et ça problématique avec tout cet argent. Mon cousin est allé voir un de ses amis motards et il est revenu avec une arme pour moi environ une semaine plus tard ».

Les répondants libres qui étaient essentiellement des collectionneurs d'armes à feu et qui se montraient très sélectifs quant aux types d'armes qu'ils achetaient avaient aussi plus de chances d'acquérir leurs armes à feu sans trop de difficulté après des recherches planifiées. Les obstacles les plus importants étaient la rareté de l'arme même et le temps qu'il fallait pour la trouver. Par exemple R11 a décrit comment sa quête d'un Royal Blue Python 357 Magnum a finalement abouti. R11 n'avait jamais pensé acquérir une arme à feu illégale, mais lorsque la rumeur a commencé à se répandre dans l'un des groupes de discussion sur Internet qu'un type cherchait à vendre cette arme à feu, il a commencé à s'enquérir autour de lui pour voir si ses amis et ses contacts connaissaient le fournisseur et s'ils pouvaient s'en porter garants. Les démarches d'acquisition sont facilitées par la présence de tels intermédiaires qui peuvent établir un lien de confiance entre les parties à la transaction. À un moment donné, un ami proche de R11 lui a dit qu'il avait rencontré le fournisseur dans des expositions d'armes à feu et qu'il pourrait organiser une rencontre. Un courriel sibyllin créé pour les groupes de discussion a été envoyé à ce fournisseur. En moins d'une journée, R11 a reçu un courriel du fournisseur qui suggérait qu'ils se rencontrent dans un champ de tir. La rencontre a eu lieu entre R11, l'intermédiaire et le fournisseur d'armes à feu. R11 a examiné l'arme, mais il a décidé de ne pas l'essayer car pour le faire, il lui aurait fallu devenir membre de ce champ de tir, ce qui aurait signifié que son nom aurait été enregistré dans leur système. Une deuxième rencontre a été organisée à la maison du fournisseur à Laval et R11 a pris plus de temps pour examiner l'arme de poing qu'il a finalement achetée. L'intermédiaire n'a reçu aucun paiement pour son aide dans la transaction, mais on lui a promis qu'il pourrait essayer l'arme à une date ultérieure.

Plusieurs intermédiaires mentionnés dans le cadre des différentes transactions ont touché une quelconque forme de rémunération ou de commission pour leur aide, mais comme l'exemple précédent le montre, ce n'était pas toujours le cas. R1 a décrit une transaction qui avait été organisée par un intermédiaire : « Nous (lui et son fournisseur) allions lui payer un certain montant pour nous mettre en rapport, mais une fois qu'il l'a fait, nous avons décidé de faire la transaction sans lui et d'économiser un peu d'argent ». Dans d'autres cas, des intermédiaires ont été systématiquement rémunérés, en particulier par les répondants libres de l'échantillon. R8 a décrit le déroulement de ce type de transactions. Dans son cas, un ami d'enfance lui avait assuré qu'il pourrait lui procurer la prochaine arme à feu de son choix en échange d'une commission. Ils se sont entendus sur une commission de 100 $. Les autres commissions mentionnées au cours des entretiens variaient en fonction de la valeur des armes et de la difficulté de les trouver. Dans certains cas, la commission pouvait être de 400 $ ou 500 $ pour des armes à feu valant plus de 1 000 $.

Même si les récits de plusieurs répondants le laissaient sous-entendre, un seul répondant a décrit explicitement ses tentatives d'élargir son réseau au-delà de l'intermédiaire qui lui avait permis d'acquérir la plupart de ses armes à feu. L'expérience de R14 illustre une caractéristique importante des acquisitions d'armes à feu illégales : les acquéreurs cherchent généralement de nouvelles façons d'améliorer leur accès. Pour R14, l'un des collectionneurs d'armes à feu parmi les répondants libres, l'objectif était de se passer de son intermédiaire : « Je n'avais pas de problème avec lui. Il avait toujours organisé mes transactions. Je savais simplement qu'il ne serait pas toujours là et que si je voulais continuer à obtenir ce que je désirais, je devais me débrouiller seul ».

Description des contacts

Le déroulement du processus d'acquisition dépend essentiellement du nombre et de la nature des contacts disponibles. Les 20 répondants ont fourni des renseignements sur 93 contacts (soit une moyenne de 4 à 5 contacts par répondant). Le nombre de contacts par répondant variait de un (pour ceux qui n'avaient fait qu'une transaction) à dix. Une grande majorité (62 %) de ces contacts étaient des fournisseurs. Les autres étaient décrits comme des intermédiaires ou des courtiers dans différentes transactions (26 %), des coacquéreurs (5 %) ou des acheteurs de leurs armes à feu illégales (7 %). Ce dernier groupe de contacts est manifestement sous-représenté dans la présente étude parce que nous nous intéressions explicitement dans les entretiens aux acquéreurs d'armes à feu et non aux fournisseurs. Ces acheteurs qui se sont retrouvés dans l'échantillon des contacts étaient des personnes à qui des répondants avaient vendu une arme à feu ou avec qui ils avaient échangé des armes à feu à un moment donné. Les analyses aux fins de la présente étude se concentreront en particulier sur les fournisseurs et les intermédiaires. Cette priorité est justifiée puisque cinq répondants seulement ont déclaré n'avoir eu aucun intermédiaire dans leurs expériences d'acquisition d'armes à feu illégales, et trois de ces répondants sans intermédiaire (R2, R13 et R16) n'ont déclaré qu'une transaction.

Tous les contacts mentionnés dans l'échantillon, sauf six, étaient des hommes. En général, les femmes jouaient des rôles très marginaux dans le déroulement des transactions. Trois étaient des ex-petites amies qui les avaient mis en contact avec des fournisseurs au cours de transactions non planifiées. Les répondants ne les ont pas décrits comme ayant été des contacts essentiels ou utiles pour l'accès aux armes à feu illégales. Une petite amie toutefois avait été une intermédiaire plus importante, en ce sens qu'elle avait négocié l'achat d'une carabine Ruger à un coup (calibre 243) entre R9 et un marchand d'armes à feu dans une réserve autochtone. Une autre femme qui a été décrite comme un contact clé au cours des entretiens était une femme de ménage et une vendeuse de cannabis à temps partiel qui travaillait près de l'appartement de R4 et qui lui avait vendu le FEG semi-automatique 9 mm pour aider à couvrir les frais d'avocat de son mari, lequel avait été incarcéré environ un an auparavant. R14 a aussi relaté une expérience similaire. Il avait acheté un pistolet CZ 75 9 mm d'une femme dont le mari était décédé depuis peu. Elle avait hâte de se débarrasser de l'arme et de faire un peu d'argent. Ils avaient un contact en commun qui a agi comme intermédiaire dans la transaction. Ces intermédiaires étaient différents des fournisseurs, en ce sens qu'ils mettaient simplement en contact l'acquéreur et le fournisseur.

En moyenne, les contacts étaient plus âgés que les acquéreurs. Cela est dû au fait que les fournisseurs étaient généralement plus âgés que les répondants au moment où les acquisitions ont été faites. Les intermédiaires faisaient essentiellement partie du cercle d'amis et de proches et, par conséquent, ils étaient davantage du même âge. L'évaluation des rapports entre les répondants et les contacts confirme cette constatation. Tandis que 75 % des intermédiaires étaient des personnes que les répondants avaient d'abord rencontrées dans des contextes non criminels, seulement 46 % des fournisseurs avaient été rencontrés pour la première fois dans des situations similaires. La plupart (54 %) des fournisseurs étaient des personnes que les répondants avaient rencontrées pour la première fois dans un contexte lié à la criminalité (contre seulement 25 % des intermédiaires). Les intermédiaires étaient aussi décrits comme des contacts plus proches que les fournisseurs. Les répondants entretenaient des relations plus longues avec leurs intermédiaires (cinq ans en moyenne) qu'avec les fournisseurs (2,5 ans en moyenne). Quand nous leur avons demandé d'évaluer la solidité des rapports qu'ils entretenaient avec leurs contacts (étrangers, distants, pas très proches, proches et particulièrement proches), nous avons appris que les intermédiaires entretenaient des liens plus étroits avec les répondants. Plus de 60 % des intermédiaires ont été décrits comme des contacts particulièrement proches, ou proches. Les fournisseurs étaient répartis de façon plus égale dans les catégories relationnelles plus basses (étrangers, distants et pas très proches) et seulement 30 % des fournisseurs ont été classés parmi les contacts les plus proches. En fait, les fournisseurs étaient des contacts que les répondants ne fréquentaient généralement pas pour d'autres raisons que l'acquisition d'une arme à feu. En outre, seulement 30 % ont été décrits comme des amis et seulement 7 % comme des personnes avec lesquelles le répondant entretenaient des relations de nature professionnelle (aucun n'était membre de la famille). Par contre, les intermédiaires étaient beaucoup plus présents dans la vie des répondants : 54 % ont été décrits comme des amis, 17 % étaient des contacts de leur milieu de travail ou de leur milieu professionnel et 13 % étaient des membres de la famille. Lorsque nous leur avons demandé d'évaluer le nombre de fois où ils avaient parlé à leurs contacts, 56 % des répondants ont déclaré n'avoir jamais parlé à leurs fournisseurs, dans 25 % des cas seulement les communications avec les fournisseurs étaient quotidiennes ou quelques fois par semaine. Une fois encore, les intermédiaires étaient plus présents dans la vie des répondants puisque 54 % recevaient des communications quotidiennes ou hebdomadaires.

Cette description de l'ensemble des contacts mentionnés au cours des entretiens donne à penser que le marché des armes à feu illégales pèse lourd sur les contacts mutuels qui servent de voie d'accès à des armes à la fois dans des contextes transactionnels spontanés et que dans des contextes transactionnels planifiés. Ces petits réseaux personnels sont en fait révélateurs de ce à quoi nous devrions nous attendre pour l'ensemble du marché. La présente recherche ne nous permet que d'effleurer ces questions, mais il est possible à ce stade de déterminer la nature des mesures systématiques qui pourraient être mises au point pour déterminer si le marché des armes à feu illégales est effectivement basé sur le courtage et dans quelle mesure il est fermé ou ouvert.

Qu'est-ce que les réseaux nous révèlent au sujet du marché des armes à feu illégales?

Nous proposons trois modèles (voir la figure 1) pour évaluer la structure des réseaux personnels qui ont été décrits au cours des entretiens.

Figure 1 : Scénarios des réseaux d'acquisition d'armes à feu illégales

Figure 1 : Scénarios des réseaux d'acquisition d'armes à feu illégales

La figure 1a représente le scénario d'un marché fermé dans lequel les acquéreurs sont limités à un petit nombre de fournisseurs et de sources d'armes à feu illégales. Par conséquent, dans un tel contexte, les possibilités des acquéreurs sont limitées, même s'ils ont accès à un nombre relativement élevé d'intermédiaires, compte tenu que la transaction dépend de quelques fournisseurs qui dominent le marché. Le meilleur exemple d'un tel scénario, c'est un contexte dans lequel des fournisseurs fixes clés jouent un rôle de premier plan et les voies d'accès informelles à des armes à feu illégales sont limitées. Les acquisitions spontanées ou opportunistes sont rares dans un tel contexte et les acquisitions d'armes à feu nécessitent généralement des recherches ciblées qui nécessitent un grand savoir-faire et beaucoup de temps. L'image populaire selon laquelle l'achat d'armes à feu illégales se fait dans les réserves autochtones et dans d'autres points de convergence du marché noir peut sembler confirmer un tel scénario, mais les études antérieures sur les armes illégales ont généralement produit des conclusions qui diffèrent considérablement de cette image.

La figure 1b représente le modèle de courtage dans lequel une structure à goulot d'étranglement façonne le marché des armes à feu illégales. Dans un tel contexte, il y a plusieurs fournisseurs, mais l'accès à ces derniers est quelque peu difficile et nécessite d'habitude un contact mutuel qui répond de l'acquéreur et du fournisseur. C'est donc le nombre d'intermédiaires ou de courtiers disponibles qui détermine l'accès individuel et la circulation globale. Dans un tel modèle, les intermédiaires sont moins disponibles que les fournisseurs eux-mêmes, ce qui crée une certaine contrainte dans un marché qui serait ouvert si tous les acquéreurs avaient un accès direct aux fournisseurs.

La figure 1c est le modèle du marché ouvert. Dans un tel contexte, l'accès aux armes à feu illégales est fluide et le nombre de fournisseurs et d'intermédiaires par acquéreur est à peu près égal. Ce scénario illustre un marché en grande partie alimenté par des voies d'accès informelles (famille, amis et connaissances sont des sources typiques) et un grand nombre d'occasions opportunistes et non planifiées.

D'après les constatations issues des sections précédentes, nous savons déjà que la plupart des armes à feu ont été acquises dans des situations déclenchées par des offres fortuites, et ont nécessité peu d'effort. En outre, certains répondants étaient en contact avec des fournisseurs d'armes fiables et quelques-uns seulement se sont tournés vers des fournisseurs fixes qui seraient plus importantes si le marché était centralisé. Dans la plupart des cas, différents fournisseurs ont servi de sources d'armes à feu illégales. Cependant, de nombreux répondants n'avaient pas de rapports directs avec des fournisseurs qui pourraient leur procurer des armes au besoin. Pour ceux qui n'avaient pas accès à des fournisseurs fiables, leurs réseaux comprenaient au moins un intermédiaire qui pouvait faire le pont et gérer les transactions au besoin. Ces constatations donnent à penser que le marché des armes à feu illégales n'est pas fermé. Cependant, en fonction du nombre d'intermédiaires à qui un acquéreur peut s'adresser au cours du processus d'acquisition, le marché est susceptible d'être construit autour de canaux de courtage ou de relations directes et ouvertes avec des fournisseurs.

Le tableau 1 renferme les données sommaires des transactions et des réseaux dont nos répondants ont fait état. Ces renseignements ont servi à établir le portrait du réseau qui correspond le mieux aux expériences de chaque répondant à l'égard de l'acquisition d'armes à feu illégales. Pour chaque répondant, le nombre de transactions a été pondéré selon la présence et le nombre d'intermédiaires et le nombre de fournisseurs1. Par exemple, R1 fonctionnait dans un réseau ouvert parce qu'il a fait ses trois transactions auprès de trois fournisseurs différents et qu'à deux occasions, deux personnes différentes ont servi d'intermédiaires. Il n'y a pas de point de centralisation dans le réseau personnel de R1 et son accès à des intermédiaires et à des fournisseurs d'armes à feu était fluide et polyvalent. Les expériences de R6 et R7 étaient encore plus ouvertes, avec un accès direct à un éventail de fournisseurs décrit pour l'ensemble de leurs transactions – R6 avait un rapport parfait transaction/fournisseur de 4:4 et R7, un rapport de 6:5, ce qui signifie que six de ses acquisitions ont été faites auprès de cinq fournisseurs différents. En tout, 8 des 20 répondants se classaient dans de tels réseaux ouverts.

Tableau 1 : Description des acquisitions et des réseaux déclarés par les répondants
Répondant Nombre d'acquisitions Nombre d'acquisitions avec intermédiaires Nombre d'intermédiaires Nombre de fournisseurs Modèle
1 3 2 2 3 Ouvert
2 1 0 0 1 --
3 2 1 1 1 Courtage
4 2 1 1 2 Courtage
5 1 1 1 1 --
6 4 0 0 4 Ouvert
7 6 0 0 5 Ouvert
8 6 3 1 1 Fermé
9 4 2 2 4 Courtage
10 2 1 1 3 Ouvert
11 2 2 2 2 Ouvert
12 11 3 3 7 Courtage
13 1 0 0 1 --
14 5 4 1 5 Courtage
15 4 1 1 4 Ouvert
16 1 0 0 1 --
17 6 3 3 6 Courtage
18 3 2 2 3 Ouvert
19 2 2 2 2 Ouvert
20 6 1 1 3 Fermé

Des scénarios de courtage sont ressortis dans six cas. L'exemple le plus révélateur est R14, qui avait un rapport transaction/fournisseur élevé (5:5) centralisé autour d'un intermédiaire (quatre des cinq acquisitions avaient eu le même contact comme intermédiaire. Il faut se souvenir que R14 est le répondant qui avait tenté d'établir des contacts avec d'autres fournisseurs de manière à limiter sa dépendance vis-à-vis de cet intermédiaire. D'autres réseaux de courtage étaient moins évidents, mais nous les avons classés comme tels parce qu'une proportion considérable des transactions avaient été négociées en passant par un petit nombre d'intermédiaires.

Deux répondants seulement ont été classés dans des réseaux fermés. Pour R8, le manque de polyvalence était évident puisque six transactions ont été concentrées sur un fournisseur. C'était le cas, peu importe que R8 fasse ses acquisitions avec ou sans intermédiaire. Les expériences de R20 n'étaient pas aussi évidentes que celles de R8, mais la moitié de ses six transactions était limitée aux mêmes fournisseurs.

La classification des réseaux est également compatible avec des caractéristiques structurelles qui ont été relevées dans chaque tableau dressé au cours des entretiens. La construction du tableau constituait l'étape finale de l'entretien. Pendant que les répondants décrivaient leurs acquisitions antérieures, ils notaient aussi les contacts qui ont été révélés au cours des récits. Une fois que toutes les acquisitions étaient décrites et que le réseau des contacts était établi, nous demandions aux répondants de déterminer la force de la relation entre tous les membres du réseau. La figure 2a illustre le réseau de R17. La figure 2b illustre le sociogramme de ce tableau.

R17 a mentionné neuf contacts qui ont participé à six acquisitions d'armes à feu illégales. C2, C4 et C6 étaient des intermédiaires dans trois de ses transactions. C1, C3, C5, C7, C8 et C9 étaient des fournisseurs d'armes à feu. R17 était directement lié à tous les membres de son réseau, sauf deux : il n'avait pas de relation directe avec deux fournisseurs (C3 et C7). Si aucun contact n'avait une présence dominante dans ce réseau, la plupart d'entre eux étaient directement liés à au moins un autre contact : en excluant les contacts avec R17 lui-même, C3, C5, C6 et C7 avaient tous un contact; C1, C2 et C8 avaient deux contacts; et C4 avait trois contacts. C9 était le seul contact qui était lié exclusivement à R17.

Figure 2a : Tableau du réseau de R17
  R17 C1 C2 C3 C4 C5 C6 C7 C8 C9
R17 -                  
C1 (S) 1 -                
C2 (I) 1 1 -              
C3 (S) 0 1 0 -            
C4 (I) 1 0 1 0 -          
C5 (S) 1 0 0 0 1 -        
C6 (I) 1 0 0 0 0 0 -      
C7 (S) 0 0 0 0 0 0 1 -    
C8 (S) 1 0 1 0 1 0 0 0 -  
C9 (S) 1 0 0 0 0 0 0 0 0 -

S = Source; I = Intermédiaire

Figure 2b : Réseau d'acquisition d'armes à feu illégales de R17

Figure 2b : Réseau d'acquisition d'armes à feu illégales de R17

Le tableau du réseau de R17 révèle un réseau de courtage efficace qui ouvre une multitude de canaux vers des fournisseurs d'armes à feu illégales. R17 était au cœur d'un réseau qui lui offrait l'option de passer par ses intermédiaires fiables ou de traiter directement avec un fournisseur. Son réseau contenait à la fois l'élément de confiance, qui réduit les risques dans les milieux illégaux, et l'élément d'autonomie, qui permet à un participant d'être moins dépendant vis-à-vis d'un seul intermédiaire ou fournisseur. En fait, une caractéristique importante à examiner est le niveau de non-redondance qui émerge entre les contacts. La façon la plus simple de l'évaluer consiste à examiner le nombre de zéros dans le tableau. Un contact est entièrement non redondant s'il n'est lié à aucun autre contact. L'accent sur la non-redondance dans le réseau découle de la théorie du trous structuraux (Burt, 1992). La théorie de Burt nous dit que la disponibilité d'un accès rapide à des renseignements avantageux dans une arène compétitive permet à certains intervenants de combler des positions qui leur permettent de saisir les possibilités les plus enrichissantes. Un tel atout compétitif découle de la capacité d'un intervenant d'enrichir un réseau personnel d'un ensemble proportionnellement élevé de possibilités d'entreprenariat ou de trous structurels. Ces trous structurels sont représentés par le niveau de non-redondance (ou les zéros) dans le réseau. Les contacts redondants sont ceux qui mènent vers les mêmes personnes et les mêmes renseignements. Plus un intervenant est lié à des contacts redondants, plus son réseau est limité, en fait de possibilités de réaliser un objectif donné (p. ex. acquérir une arme à feu). Un réseau fermé de cette nature est généralement représenté par une clique dans laquelle tous les membres du réseau sont en contact direct avec tous les autres contacts (par conséquent, aucun zéro). Pour disposer d'un réseau de plus en plus redondant, un intervenant doit s'employer à doter son réseau personnel du plus grand nombre de trous structurels possible. Ces trous structurels sont des possibilités d'établir des liens avec d'autres intervenants non liés et, par conséquent, d'élargir son propre champ de possibilités. Ces réseaux sont représentés par des configurations en étoile ou de courtage.

Le cadre des trous structurels offre deux mesures qui expliquent les caractéristiques de ces réseaux. Les deux mesures, soit l'efficience et les contraintes, ont été appliquées dans des études antérieures des réseaux criminels et se sont révélées des facteurs clés pour expliquer la performance d'un délinquant, par exemple ses gains issus de la criminalité et ses promotions dans des organisations (Morselli et Tremblay, 2004; Morselli, 2005; Morselli, Tremblay et McCarthy, 2006). En accord avec le scénario fondé sur l'occasion, il a été constaté que l'efficience du réseau (ou la non-redondance la plus grande) améliore la performance criminelle. À l'inverse, les contraintes des réseaux (ou la redondance plus élevée) diminue le champ de possibilités d'un délinquant et, par conséquent, sa performance globale.

Dans la portée de la présente étude, chaque mesure de réseau est utilisée à titre indicatif du degré de fermeture, de courtage ou d'ouverture de l'ensemble des possibilités qui s'offrent pour acquérir des armes à feu illégales. Des contraintes élevées sont un signe de réseaux fermés qui sont soit très dépendants vis-à-vis d'un ou de quelques contacts soit simplement limités quant au nombre d'options qui s'offrent à une personne pour faire des acquisitions volontaires ou fortuites. Des contraintes relativement faibles illustrent un marché ouvert dans lequel l'accès aux armes à feu illégales est polyvalent et les occasions sont nombreuses. L'efficience élevée est également caractéristique d'un tel marché ouvert. Dans le cas de R17 (figure 2), l'efficience a été calculée à 80 % et les contraintes, à 27 %, ce qui montre un réseau personnel polyvalent qui offre de nombreuses occasions. Pour R17, la perte d'un ou deux fournisseurs ne l'aurait pas empêché d'obtenir une arme à feu illégale. Toutefois, N17 n'était pas l'acquéreur d'armes à feu le plus efficace de l'échantillon. N7 était plus efficace, avec un réseau en étoile parfait (100 %) et le moins de contraintes dans l'échantillon. À l'autre extrême, R3 dépendait d'un fournisseur. Par conséquent, il était complètement limité (100 %) et pas du tout efficace (0 %). Les possibilités de R8 étaient également limitées, avec seulement 25 % d'efficience et 65 % de contraintes.

Le tableau 2 présente la moyenne pour chaque mesure du réseau dans les groupes de scénarios ouverts, de courtage et fermés pour l'acquisition d'armes à feu illégales. L'analyse correspond au chevauchement attendu entre la classification des réseaux, établie à partir du nombre d'intermédiaires et de fournisseurs dans toutes les transactions dans le passé d'un répondant (tableau 1), et les mesures de l'efficience et des contraintes du réseau calculées à partir des tableaux établis au cours des entretiens. Les acquéreurs d'armes à feu les plus efficients et les moins limités sont ceux qui ont décrit des réseaux ouverts. Les acquéreurs d'armes à feu les moins efficients et les plus limités sont ceux qui ont décrit des réseaux fermés. Les réseaux de courtage se situaient entre les scénarios des réseaux ouverts et fermés.

Tableau 2 : Typologie des modèles selon les caractéristiques des réseaux
Scénario de réseau Nombre moyen d'acquisitions Efficience moyenne Contraintes moyennes
Fermé 6 29 % 70 %
Courtage 5 47 % 53 %
Ouvert 3.3 70 % 48 %

Les scénarios des réseaux décrits ci-dessus nous permettent d'évaluer un réseau d'acquisition d'armes à feu en dénombrant simplement les intermédiaires et les fournisseurs, mais ils ne produisent pas une mesure précise pouvant être employée systématiquement sur une grande population et à des niveaux agrégés. L'efficience et les contraintes du réseau permettent d'obtenir ces mesures systématiques et agrégées, mais elles nécessitent la tâche complexe de dresser le tableau du réseau de chaque acquéreur. Le fait qu'une approche corrobore l'autre constitue à ce stade, le résultat le plus important à retenir, en ce sens que les futurs chercheurs peuvent simplement opter pour un cadre simple décrivant les réseaux individuels, ou pour un algorithme plus complexe permettant d'évaluer un vaste échantillon des participants du marché et, au bout du compte, le marché lui-même. Les mesures du réseau nous permettent aussi d'évaluer quelles catégories d'acquéreurs sont capables d'obtenir des armes à feu illégales de différentes façons. Par exemple, les répondants qui font état de liens avec le crime organisé disposent, en moyenne, de réseaux plus efficients (71 % contre 45 %) et moins limités (36 % contre 63 %) que les autres répondants de l'échantillon.

L'utilisation de ces mesures de réseaux pour expliquer les modes d'acquisition dans le marché des armes à feu illégales représente une amélioration par rapport à l'attention accordée dans le passé aux fournisseurs fixes dans une administration donnée. En plus d'intégrer des contacts qui peuvent centraliser l'offre d'armes à feu illégales, les mesures de réseaux nous permettent d'intégrer simultanément les nombreux canaux d'acquisition informels, ce qui est plus important encore. Au bout du compte, cette approche de réseaux nous permet de montrer si un marché d'armes à feu illégales est centralisé autour d'un nombre limité de fournisseurs ou décentralisé autour d'un vaste éventail de voies d'accès individuelles à des armes à feu. Dans le premier scénario, l'efficience du réseau sera faible et les contraintes élevées au niveau agrégé. L'inverse est prévu dans le dernier scénario. Une fois le degré de centralisation établi, ce n'est qu'à ce stade qu'on devrait s'attarder à identifier les principales fournisseurs fixes, si de telles sources sont identifiées, bien entendu.

Pourquoi acquière-t-on des armes à feu illégales?

Des études ont montré que l'acquisition d'armes à feu découle essentiellement d'un désir de se protéger. Dans une certaine mesure, les répondants dans la présente étude l'ont confirmé. Les répondants ont simplifié leurs réponses en disant, pour la plupart (53 %) qu'ils voulaient une arme sans raison particulière : ils voulaient simplement en posséder une. Toutefois, la protection faisait partie des principales raisons, puisque 16 % des armes ont été acquises à cette fin. Dans deux cas seulement des répondants ont fait une nuance, en disant que ces armes à feu serviraient aussi à l'intimidation, mais nous pourrions supposer que ceux qui ont utilisé des armes pour commettre des vols qualifiés avaient aussi implicitement la même motivation. Dans une proportion presque égale, les armes à feu (15 %) avaient été acquises pour commettre un acte criminel. Les autres avaient été acquises soit pour leur valeur (pour la revente) ou pour une autre personne.

Les motifs (ou absence de motifs) pour acquérir des armes à feu varient selon deux autres variables : 1) si l'acquisition était le fruit d'une occasion fortuite ou d'une recherche planifiée et 2) si les répondants étaient des contrevenants non incarcérés, novices ou plus chevronnés. Les armes acquises pour le simple plaisir de les posséder, pour se protéger ou pour une autre personne étaient généralement le fruit d'une recherche. Les armes acquises à des fins criminelles ou pour la revente étaient plus susceptibles d'être le fruit d'une occasion fortuite. Ce dernier point est intéressant en ce sens qu'il illustre la mesure dans laquelle l'acquisition d'une arme qui servira dans un vol qualifié ou pour faire un profit rapide ne découle pas forcément d'une décision rationnelle s'inscrivant dans un scénario bien planifié. Les données issues des entretiens ne nous permettent pas de déterminer dans quelle mesure l'acquisition d'une arme crée une motivation à commettre un crime, mais elles mettent en doute l'exactitude des descriptions exagérément stratégiques de la criminalité qui dépeignent les délinquants comme des individus calculateurs qui se préparent en conséquence.

Des distinctions claires émergent entre les trois sous-groupes de l'échantillon lorsque nous examinons le type de répondants en fonction des motivations qui les ont poussés à acquérir illégalement des armes à feu. Les répondants libres étaient presque exclusivement motivés par la simple possession (93 %). Nous pouvons supposer que cette simple possession découle d'une passion pour les armes qui pousse la personne à acquérir d'autres armes, de meilleure qualité et plus rares, à mesure que son savoir augmente et que son bassin de ressources s'étend. C'était le cas de trois des répondants libres (R8, R9 et R10) qui ont souvent acquis des armes à feu ensemble et mis en commun leurs connaissances et leurs contacts. La transmission d'information concernant les contacts et les canaux pour acquérir des armes à feu illégales étaient courante dans l'expérience de tous les répondants, mais le partage d'armes à feu n'était pas fréquent en dehors de ce petit groupe de répondants. Mis à part R3, qui a emprunté du petit ami de sa mère l'arme à feu dont il avait besoin pour commettre des vols qualifiés, aucun autre répondant n'a dit avoir partagé des armes à feu.

Les délinquants novices dans l'échantillon étaient plus susceptibles d'acquérir une arme à feu pour commettre un acte criminel éventuel (35 %) ou pour une autre personne (12 %). Seulement 24 % ont dit en avoir eu besoin pour se protéger. Des délinquants novices étaient aussi motivés par la simple possession (30 %), mais ce n'était pas le cas des délinquants plus organisés de l'échantillon, puisque aucun d'entre eux n'a mentionné une telle « raison ». Les délinquants organisés ont plutôt déclaré qu'ils avaient besoin de se protéger (40 %) ou qu'ils voulaient revendre l'arme à profit. Par exemple R4 a expliqué comment il en est arrivé à la décision qu'il était temps de se procurer une arme : « Je vendais du cannabis et je faisais pas mal d'argent. Au cours d'une transaction, je me suis fait voler 600 $. Ce n'était pas vraiment un vol à main armée, mais ça m'a ébranlé. C'est là que j'ai décidé que j'avais besoin d'une arme pour me protéger. J'avais toujours beaucoup d'argent et je ne me sentais pas en sécurité ». D'autres répondants, comme R15, ont décrit un contexte de peur plus général: « Il y avait de la tension dans le secteur où je vivais. Il y avait de plus en plus de bagarres et des gens se faisaient blesser. À cette époque, j'avais mon arme sur moi en tout temps. Si je ne pouvais pas aller quelque part avec mon arme, je n'y allais tout simplement pas ».

D'autres motifs, en particulier pour les premiers acquéreurs, comme dans le cas de la première expérience de R6, comprenaient l'excitation et l'énergie émotive de posséder une arme à feu : « J'avais 14 ans et un ami m'avait donné une carabine 22 dont j'ai scié le canon. C'était ma première arme. J'étais euphorique. Je me sentais plus vieux, plus mûr. Elle me faisait sentir comme si j'étais en contrôle ». D'autres répondants, comme R7, ne partageaient pas de tels sentiments envers les armes et les voyaient de façon plus pragmatique : « Pour moi, une arme est un outil. J'ai beaucoup d'amis qui se passionnent vraiment pour les armes et en font une collection. Pour moi, un menuisier a besoin de son marteau et de ses outils. C'est la même chose pour moi. Une arme est un outil ». La perspective de R7 envers les armes à feu était également évidente dans ses réactions rapides à des marchés intéressants : « Il me l'a vendue pour pas cher – pour 150 $. Un révolver 38 à l'époque coûtait environ 500 $ et c'est ce que j'en ai tiré peu de temps après ».

Description de l'inventaire d'armes à feu

Dans l'ensemble, les répondants ont décrit 80 armes à feu illégales qu'ils avaient obtenues au cours de leurs 72 transactions. La plupart des armes à feu (64 %) étaient des armes de poing de différentes marques et de différents calibres. Sur les 29 armes d'épaule mentionnées, 8 étaient des mitraillettes ou des fusils d'assaut (c.-à-d. M16, Uzi, AK47). Seulement deux de ces armes d'épaule avaient été modifiées (canon tronqué). Dans les trois groupes de l'échantillon, les délinquants novices et les délinquants organisés avaient acquis le plus grand nombre d'armes de poing, tandis que les répondants libres avaient acquis à parts égales des armes de poing et des armes d'épaule. Il y avait également des variations quant aux caractéristiques plus particulières des armes à feu.

Quand est venu le temps de révéler ce qui les avait poussés à acquérir un type particulier d'armes à feu, les répondants ont souvent décrit à quel point le choix d'armes disponibles était généralement limité. Dans la plupart des cas, ils ont expliqué qu'ils indiquaient s'ils voulaient une arme de poing ou une arme d'épaule. Au-delà de ces spécifications, ils étaient généralement à la merci de ce qui était disponible à ce moment-là. Même les répondants de l'échantillon qui disposaient des meilleurs contacts, comme R17, ont expliqué qu'ils devaient s'adapter à l'offre : « Vous n'avez vraiment pas le choix. Vous prenez ce qui est disponible. Vous ne pouvez pas aborder quelqu'un et lui dire que vous voulez un modèle précis et tout le reste. On ne voit ça qu'au cinéma. Dans la vie, vous prenez ce qu'il y a. J'ai des préférences, mais vous prenez l'arme qui est disponible. J'ai eu quelques 9 mm, mais j'ai toujours préféré les révolvers. J'ai quand même pris le 9 mm ».

Les répondants ont fourni des détails complets sur les prix et les modèles ou calibres de 36 armes à feu (voir le tableau 3). Nous avons aussi réuni des renseignements sur le prix courant d'une arme à feu neuve du même modèle et calibre2. Ces renseignements nous permettent d'évaluer les variations du prix que des personnes paient pour un produit similaire et la façon dont ces prix se comparent aux achats conventionnels. Dans l'ensemble, les acquisitions illégales mentionnées au cours des entretiens coûtaient plus cher que les mêmes produits sur le marché légal. Douze armes à feu seulement ont été achetées à moindre coût que le prix courant. Dans la plupart des cas, les armes ont été achetées pour plus cher que leur valeur légale, les marges variant de 50 $ à 1 000 $ de plus que la valeur conventionnelle de l'arme. Dans quelques cas, l'acquéreur a reçu l'arme sans rien débourser.

Plusieurs raisons expliquent ces tarifs plus élevés. La première raison est davantage liée au marché des armes rares qu'au marché illégal. Plusieurs armes à feu acquises illégalement étaient des articles de collection (p. ex Rock-ola M1, H&R M1 Garand). Une autre raison tenait à l'expérience personnelle et aux ressources limitées des répondants quant à l'acquisition d'armes à feu. Une troisième raison a été révélée par quelques répondants qui ont affirmé qu'ils étaient prêts à payer n'importe quel prix pour obtenir ce qu'ils voulaient. Dans bien des cas, des répondants ont dit qu'ils ne savaient pas combien valait l'arme et qu'ils étaient simplement attirés par l'allure de l'arme ou la sensation qu'elle leur procurait. Par exemple R4 a décrit la simplicité de son processus décisionnel : « J'aimais son apparence. Je la voulais. Donc je l'ai achetée. Je ne me suis pas préoccupé du prix ».

Tableau 3 : Inventaire des armes à feu décrites au cours des entretiens
Répondant Modèle Calibre Prix Prix courant ($US)* Écart de prix
1 Smith&Wesson 357 400 $ 700 $ - 300
8 Smith&Wesson 357 750 $ 700 $ 50
4 Smith&Wesson 41 1 000 $ 1 100 $ - 100
10 Smith&Wesson 38 575 $ 625 $ - 50
15 Smith&Wesson 38 Cadeau    
20 Smith&Wesson 38 Cadeau    
11 Smith&Wesson 44 1 000 $ 1 000 $ 0
2 Beretta 22 300 $ 300 $ 0
6 Beretta 9 800 $ 500 $ 300
12 Beretta 9 750 $ 500 $ 250
6 Browning 12 Cadeau    
16 Glock 32 1 000 $ 550 $ 450
16 Taurus 45 1 000 $ 400 $ 600
19 Sig Sauer 9 800 $ 900 - 100
20 Walther 9 Cadeau    
13 FN Herstal 9 150 $ 500 - 350
12 AK47   650 $ 600 $ 50
7 AK47   160 $ 600 $ -440
11 Colt Python 357 1 200 $ 1000 $ 200
12 Winchester 270 600 $ 800 $ - 200
14 1894 Marlin   650 $ 700 $ - 50
8 M-16 5 2 500 $ 1 500 $ 1000
8 Remington 270 400 $ 800 $ - 400
9 Remington 270 800 $ 800 $ 0
12 Remington 270 400 $ 800 $ - 400
2 Ruger 77 22 600 $ 600 $ 0
9 Ruger 77 44 600 $ 650 $ - 50
9 Ruger 243 900 $ 800 $ 100
12 Ruger M77 270 600 $ 500 $ 100
12 Luger 30 1 250 $ 1 200 $ 50
9 Sako 85 Hunter   1 500 $ 1 500 $ 0
12 Savage Edge 11 308 900 $ 350 $ 550
12 Rock-Ola M1   1 550 $ 700 $ 850
12 H&R M1 Garand 30-06 1 100 $ 1 000 $ 100
1 Cooey 64 22 50 $ 200 $ - 150
1 Herbert Schmidt 22 250 $ 150 $ 100

* Le taux de change CDN-US à l'époque de la collecte des données (avril 2010) était de 1,0158 $ CDN.

Il y avait également de nettes différences entre les répondants quant aux prix payés pour une arme de même marque et de même calibre. Ces distinctions nous aident à comprendre pourquoi certains consommateurs d'armes à feu illégales paient plus cher pour des armes. Par exemple, R1 et R8 ont acheté un révolver Smith and Wesson 357. Toutefois, R1 a payé près de la moitié du prix pour le même modèle d'arme à feu (400 $ contre 750 $). R1 et R8 étaient tous deux des passionnés d'armes à feu et ils avaient commencé à monter leurs propres collections. Les deux répondants connaissaient aussi différents fournisseurs d'armes qui pouvaient leur procurer une arme à feu illégale. La principale différence entre les deux transactions tient à la façon dont elles ont été amorcées. R1 s'est vu offrir l'arme tandis que R8 l'a acquise après dix jours de recherche. R1 a aussi été classé dans un réseau ouvert, tandis que R8 a été classé dans un réseau fermé. Par rapport au prix du marché légal pour un Smith and Wesson 357, nous constatons que R1 a obtenu un excellent prix pour l'arme. Bien entendu, le revolver usagé que R1 a acquis aurait pu être de qualité inférieure, mais ce n'était pas le cas. Interrogé à ce sujet, R1 a précisé que l'arme était en parfait état et « elle représentait une bonne affaire au bon moment – le type voulait simplement s'en débarrasser ».

Cependant, les transactions opportunistes ne produisent pas toujours de meilleures aubaines que les recherches planifiées. R8, R9 et R12 ont tous acheté une carabine Remington 270. R9 a payé deux fois plus cher que R8 et R12 (800 $ contre 400 $). R12 s'est empressé de préciser qu'il avait payé aussi peu pour l'arme parce qu'elle lui avait été offerte par l'un de ses contacts et que c'était une aubaine qu'il savait qu'il ne pouvait refuser. Au contraire, R12 s'est livré à une recherche minutieuse pour repérer la carabine qu'il voulait, mais il a attendu pour obtenir le meilleur prix possible. Comme il voulait l'arme simplement pour l'ajouter à sa collection, il a pu attendre assez longtemps pour trouver une véritable aubaine. Comme R12, R9 s'était aussi fait offrir l'arme à feu dans une situation opportuniste. Il a simplement dit avoir payé le prix du marché pour ce type d'arme. Si nous comparons au prix courant sur le marché légal, R9 a dit vrai.

D'autres répondants ont mentionné d'autres situations où ils avaient acheté plusieurs armes à feu en même temps, ce qui leur avait permis d'obtenir un prix unitaire moins élevé. R7 a décrit un marché de cette nature. Il avait acheté dix-huit AK47 pour 3 000 $ d'un contact personnel à Montréal (environ 160 $ l'unité). Il en a gardé une et a vendu le reste 7 000 $ à un marchand d'armes qui faisait des affaires à partir d'une réserve autochtone voisine. Il faut souligner qu'au tarif courant de 600 $ l'unité, R7 a manifestement fait une bonne affaire, mais il a aussi vendu les armes à son contact à un prix relativement bas (environ 400 $ l'unité). R7 était un motard affilié au Hells Angels. Il était étroitement mêlé au trafic et à l'importation de drogue au cours de la période où la violence était à son comble au Québec dans les années 1990. Lorsque nous lui avons demandé d'expliquer pourquoi il avait obtenu un aussi bon marché pour un si grand nombre d'armes à feu, il a expliqué qu'il avait l'habitude d'acheter des armes et qu'étant donné son domaine d'activité, il y avait toujours des armes disponibles. Le « mot d'ordre » au sein de son groupe de motards était d'acheter toutes les armes à feu auxquelles il avait accès, « qu'il s'agisse d'une arme de poing, de dynamite ou d'une carabine, nous achetions tout ». Dans ce cas particulier, le fournisseur qui avait vendu à R7 le chargement de carabines d'assaut était lourdement endetté envers lui et R7 avait soustrait les 3 000 $ de la somme qui lui était due. Évidemment, rares sont ceux qui peuvent profiter de telles situations. Le seul autre répondant ayant déclaré avoir acquis ce type d'armes était R12 (qui faisait partie de l'échantillon des répondants libres). Il avait payé légèrement plus que le prix courant.

Les trafiquants de drogue n'ont pas tous autant de connaissances et de ressources que R7 en ce qui concerne les armes à feu. R16 offre un contraste frappant. Il a payé 1 000 $ pour une arme dont le prix courant était de 550 $. R16 était principalement un vendeur de cannabis et son expérience de l'importation de cocaïne était limitée à une seule opération : « Je ne savais vraiment rien de l'importation de cocaïne et c'est pourquoi j'ai fini par me faire attraper ». Son expérience des armes à feu était encore plus limitée et sa seule acquisition était le fruit d'une proposition fortuite de l'un de ses anciens clients de cannabis qui avait besoin d'argent : « C'était un joueur et il avait besoin d'argent, donc j'ai acheté l'arme de lui. (...) J'ai acheté un Glock 32 mm de lui. Je ne savais même pas de quel type d'arme il s'agissait. La seule raison pour laquelle je le sais maintenant, c'est parce que ma gestionnaire de cas m'a dit que vous vouliez m'interviewer. Elle a vérifié mon dossier et elle m'a dit que l'arme avait été saisie quand j'ai été arrêté. C'est de cette façon que j'ai appris ce que j'avais acheté. Je savais que vous alliez me poser la question et je ne voulais pas avoir l'air trop stupide. Mon projet était d'acheter l'arme et de la revendre à profit. On m'a dit que je pouvais en tirer 2 000 $. Je ne connais vraiment rien de tout ça. Je n'ai même pas pris la peine de demander si elle avait été utilisée dans un crime. Quand j'ai été arrêté, j'ai commencé à m'inquiéter parce que j'avais peur que l'arme avait probablement été utilisée dans un autre crime et que je serais accusé de quelque chose que je n'avais pas fait. J'ai été chanceux parce que rien de tel n'est arrivé, mais quand vous y pensez, j'ai couru le risque de recevoir une peine à perpétuité seulement pour faire 1 000 $ de plus ».

Comme l'expérience de R16 le révèle, les répondants n'étaient pas extrêmement vigilants quant à l'origine des armes à feu qu'ils acquéraient. La plupart des répondants ont simplement dit qu'ils ne s'étaient jamais préoccupés de demander à leurs fournisseurs ou à leurs intermédiaires si les armes qu'ils acquéraient avaient déjà été utilisées dans des crimes. Même si R16 en est venu à prendre conscience des implications potentielles de l'acquisition d'une arme utilisée dans un acte criminel, ces possibilités n'étaient simplement pas une préoccupation première des répondants lors de l'acquisition. Cependant, et comme nous le verrons dans la section suivante, certains répondants avaient pris un peu plus de soin pour se distancer des armes à feu après les avoir utilisées lors de la perpétration d'un acte criminel.

Utilisation des armes à feu et sort qui leur est réservé

La plupart des armes à feu que les membres de l'échantillon ont acquises n'ont pas servi à des fins criminelles, du moins c'est ce qu'ils ont dit. C'est le cas, même si nous excluons les sept répondants libres qui n'ont mentionné aucun crime. Parmi les armes acquises par les répondants incarcérés, 40 % n'auraient pas été utilisées à des fins criminelles. Les voleurs à main armée de l'échantillon étaient les plus susceptibles d'utiliser leurs armes au cours de leurs crimes. De nombreux répondants ont dit avoir acquis des armes à feu pour se protéger, mais rares sont les trafiquants de drogue de l'échantillon qui portaient régulièrement leur arme de façon pour se protéger. Seulement deux armes ont servi à cette fin et deux autres ont été brandies au cours d'altercations avec d'autres délinquants. Une telle conclusion semblerait contredire la discussion précédente concernant la qualité protectrice des armes à feu pour les trafiquants de drogue. Les armes étaient à proximité lors d'évènements particuliers (p. ex. transactions, échanges avec des vendeurs rivaux) et dans la plupart des cas, elles n'étaient pas nécessaires au quotidien. Ainsi, les armes à feu seraient nécessaires à des fins de protection lors du trafic de drogue, mais pas forcément pour le style de vie général que les trafiquants mènent.

Dans cinq cas, les armes à feu acquises ont servi dans un homicide. Dans chaque épisode, le tireur était un des répondants incarcérés n'ayant fait état d'aucun lien avec le crime organisé ou le trafic de drogue. Dans de tels cas, l'arme était à l'origine de leur statut actuel de détenu et chaque répondant l'a reconnu. R1 a dit que « si l'arme n'avait pas été disponible ce soir-là, je n'aurais jamais tué ces deux types ». C'est avec un 357 Magnum que R1 a tué deux hommes dans un bar. Un soir, il prenait un verre et il s'est querellé avec trois hommes qui l'avaient bousculé. L'un des hommes l'a menacé de revenir le lendemain pour le passer à tabac. R1 avait déjà subi de l'intimidation alors qu'il était à l'école secondaire et il avait appris que la meilleure façon de traiter avec ce type de personne était de leur donner une raclée avant qu'eux le fassent. Ce soir-là, il est retourné à son appartement pour prendre son arme. Il avait l'intention de retourner au bar et de faire peur aux hommes pour mettre fin au conflit. À son retour au bar, il a braqué l'arme sur l'homme qui l'avait menacé de revenir le lendemain, mais au lieu de prendre peur, l'homme s'est levé et a commencé à le narguer (en le prenant au mot). Quand l'homme s'est approché de trop près, R1 lui a tiré. Il s'est alors dirigé vers le deuxième homme qui était resté assis et il a fait feu sur lui également. Il m'a dit ne pas être retourné au bar dans l'intention de tuer qui que ce soit, mais que lorsque l'homme a foncé sur lui, il n'avait eu d'autre choix que de tirer sur lui. À son avis, il avait agi en légitime défense parce que s'il avait été désarmé, il aurait probablement été tué. Quand je lui ai demandé pourquoi il s'était dirigé vers le deuxième homme après avoir fait feu sur celui qui avait foncé sur lui, il a répondu simplement : « Ouais, c'est là où je suis allé trop loin et c'est pourquoi je suis encore en prison ». Le troisième homme était parti avant qu'il revienne au bar avec l'arme. Je lui ai demandé ce qu'il aurait fait si le troisième homme avait été présent lui aussi. Il m'a dit qu'il l'aurait abattu lui aussi.

R2 a décrit en des termes similaires la façon dont il avait tué deux hommes : « C'est étonnant à quel point les choses se déroulent rapidement et à quel point c'est simple. Ce ne serait jamais arrivé si je n'avais pas eu l'arme dans mon camion ce soir-là ». R15 a aussi expliqué l'importance de saisir les facteurs situationnels liés à la disponibilité d'une arme à feu. En conjonction avec d'autres facteurs, comme une forte consommation de drogue ou d'alcool, la présence d'une arme à feu augmente le degré de létalité dans un contexte déjà explosif : « J'étais à une fête, un party. On nous avait donné un tuyau selon lequel quelqu'un vendait des drogues dans l'édifice. J'étais soûl et sous l'effet de drogues. Nous l'étions tous. Ce n'est pas une excuse, mais j'étais vraiment parti. J'avais mon arme et j'ai décidé de voler ce type avec quelques amis. Les choses ont mal tourné et j'ai fini par l'abattre. »

En fait, tout conflit risque de dégénérer en une situation dangereuse lorsque l'une ou plusieurs des parties sont en possession d'une arme. R4 a décrit comment les évènements se sont déroulés lors de l'homicide dont il a été trouvé coupable : « La seule fois où j'ai utilisé l'une de mes armes, c'est lors du meurtre. Le type insistait que je lui devais de l'argent, mais je ne lui devais rien. J'ai senti que j'étais en danger avant d'aller le rencontrer, mais j'y suis quand même allé parce que je voulais prouver que je ne lui devais rien, mais j'avais un mauvais pressentiment. Je croyais qu'il allait se présenter seul ou avec une autre personne, mais ils étaient cinq. J'étais avec trois autres personnes, mais je ne voulais effrayer personne, c'est pourquoi ils m'ont attendu dans le bureau, juste au cas où les choses tourneraient mal. À un moment donné, ils se sont aperçu que mes amis étaient dans le bureau et ils ont commencé à se battre. Quelqu'un criait "ils sont armés!" et lorsque je suis allé voir ce qui se passait, un des types tenait mon ami par le cou. Ils continuaient tous à se battre et c'est alors que j'ai tiré quelques coups. Deux types sont morts et d'autres ont été blessés. L'un des morts était mon ami. Tout s'est passé si vite et quelqu'un m'a bousculé pendant que je tirais et je l'ai touché par accident ».

Près de la moitié (46 %) des armes que les répondants de la présente étude ont acquises sont encore en leur possession. C'est particulièrement le cas pour les sept répondants libres qui continuent d'ajouter des armes à feu à leur collection grandissante. Une bonne partie des armes ont été saisies par la police (24 %), mais une autre partie (26 %) a été remise en circulation par des reventes, des échanges pour d'autres armes, des cadeaux ou des retours à la personne qui avait fourni l'arme. Les reventes n'ont pas toujours engendré un profit. Par exemple R6 a décrit comment il est devenu le fournisseur du côté perdant d'une acquisition opportuniste : « J'ai gardé l'arme environ six mois puis je l'ai vendue parce que c'était la fin de semaine et j'avais besoin d'argent pour acheter du crack. Je ne pouvais pas dévaliser une banque parce qu'elles étaient toutes fermées. J'ai donc vendu l'arme. Je ne me souviens pas à qui je l'ai vendue ni pour quel montant. Je me souviens que c'était à un type dans une fumerie de crack. Je la lui ai probablement donnée pour rien ».

Les autres armes de l'inventaire (4 %) ont été jetées ou abandonnées. Cela semble une méthode courante chez les motards de l'échantillon. R7 : « Pendant la guerre des motards, nous achetions toutes les armes à feu qui nous tombaient sous la main. Nous nous en débarrassions tout aussi facilement. Pour toutes les armes que nous utilisions, qu'il s'agisse d'une arme à air comprimé ou quoi que ce soit d'autre, le mot d'ordre était le suivant : utiliser et détruire. Je dois avoir détruit entre 150 et 200 armes. Immédiatement après qu'elles aient été utilisées, elles finissaient dans le fleuve. Cela ne veut pas dire que j'ai tiré avec toutes ces armes. Parfois, j'utilisais seulement l'arme pour frapper quelqu'un. Même si je tirais sur un mur ou à travers une fenêtre, c'était toujours la même chose : utiliser et détruire ».

R17 confirme la description que R7 fait de son expérience passée des armes à feu : « Chaque fois qu'il y avait une fusillade, quand nous tirions sur un bar, un magasin, une voiture ou quoi que ce soit d'autre, nous nous débarrassions de toutes les armes qui avaient été utilisées. Même si nous n'avions touché personne, dès qu'un objet avait été touché, nous devions nous débarrasser des armes ».

Réflexions sur le contrôle des armes à feu

Les répondants n'avaient pas toujours grand-chose à dire quand nous leur demandions leur opinion sur le contrôle des armes à feu. Certains répondants incarcérés se contentaient de répondre qu'ils n'étaient plus autorisés à posséder des armes à feu à cause de leur statut délinquant. D'autres répondants étaient plus explicites sur la facilité ou la difficulté d'acquérir des armes à feu illégales. R7 a expliqué que les contrôles rigoureux visant les armes à feu étaient la raison pour laquelle il détruisait toutes les armes qu'il acquérait : « C'est comme je l'ai dit, elles sont toutes dans le fleuve, en particulier celles que j'ai acquises depuis 2000. Depuis 2001, ils ont vraiment resserré les contrôles des armes à feu. Les peines sont les mêmes, mais ils n'offrent plus de réduire les peines pour la possession d'une arme à feu. Maintenant, on vous impose une peine sévère pour la possession d'une arme illégale. Au lieu de me faire prendre à vendre une arme à feu qui a déjà été utilisée, je préfère ne pas courir le risque et je la jette simplement du haut du pont Jacques-Cartier ».

R17 a décrit comment ses contacts avec des motards ont facilité pour lui l'acquisition d'armes à feu en dehors du cadre légal. « Vous savez, au début, il n'est pas facile d'acquérir une arme. C'est un peu comme se procurer de la drogue. Ce n'est pas comme à la télévision où chaque fois qu'un type veut une arme, il s'en procure une. Cependant, ce n'est jamais vraiment arrivé que je sois incapable de me procurer une arme, du moins pas depuis que je fais partie de l'organisation. En premier, c'était les types de l'organisation qui me fournissaient. Quand je suis devenu membre de l'organisation, je demandais au type qui était responsable des armes (le sergent d'armes). » Exception faite du lien avec le crime organisé, les expériences personnelles dont les répondants ont fait part ne nous permettent pas de confirmer grand-chose. R4 estimait que c'était difficile : « Ce n'est pas facile de se procurer une arme. C'est un monde relativement fermé, mais si vous êtes mêlé au crime organisé, c'est plus facile parce que vous êtes toujours entouré de beaucoup d'armes ». Pour R5, qui n'a déclaré qu'une transaction, c'était facile, mais il ne fondait pas son opinion sur sa propre expérience : « C'est facile de se procurer une arme à feu dans la rue – c'est vraiment facile. Je connais bien des types qui trouvent des armes sans trop de difficulté; des armes usagées et des neuves ». Pour R6, la facilité d'acquérir une arme à feu était directement liée à la simplicité des occasions fortuites : « Ça a toujours été facile pour moi, je n'ai jamais cherché des armes. J'ai toujours reçu des offres : comment la chose pourrait-elle être plus facile? »

Les sept répondants libres ont fourni une évaluation plus précise des contrôles des armes à feu et de leurs expériences en matière d'acquisition d'armes à feu illégales. À bien des égards, la voie d'accès au marché illégal passe par le marché légal, en ce sens qu'à mesure que les goûts personnels s'affinent et que le savoir-faire augmente, leur recherche s'oriente vers des armes à feu plus rares et de meilleure qualité. Souvent, ces armes à feu rares sont prohibées et la seule façon de s'en procurer est de passer par des canaux illégaux. Le savoir-faire personnel évolue au fil des rapports avec d'autres propriétaires d'armes à feu qui partagent la même passion et les connaissances. En général, c'est par de tels contacts que des possibilités d'accès informel et illégal apparaissent.

Quelques répondants libres, dont R9 et R14, ont expliqué avoir décidé d'acquérir des armes par des canaux illégaux simplement pour éviter les contraintes bureaucratiques d'un achat légal. R9 a dit que l'idée d'acheter des armes à feu illégales ne lui avait jamais traversé l'esprit avant que son contact lui montre à quel point il était plus rapide et facile de contourner les contrôles officiels. R14 a expliqué qu'il ne voulait pas s'embêter avec la paperasse et les permis nécessaires pour posséder et porter des armes. Il n'a jamais vraiment voulu se procurer des armes « spéciales », mais il voulait s'éviter les tracasseries d'avoir à remplir les formulaires et d'attendre la permission.

Un autre rebondissement inattendu révélé par les répondants libres est le fait que pour continuer d'être un consommateur actif d'armes illégales et éviter d'être repéré, on doit à l'occasion déclarer et enregistrer une arme à feu. R9 et R10 ont tous deux dit qu'un achat légal de temps en temps permet de se soustraire à l'attention de la police. R11, le plus prudent de tous les répondants interviewés aux fins de la présente étude, avait pris soin d'enregistrer légalement une nouvelle arme à feu avant d'acheter ses deux premières armes illégales. Il a également dit qu'il entrepose les armes à feu illégales en accord avec les normes officielles.

Conclusion

Les entretiens ont permis de confirmer plusieurs des caractéristiques générales qui sont ressorties des recherches antérieures. Les canaux d'acquisition informels étaient effectivement la norme. La plupart des répondants avaient accès à plusieurs canaux d'acquisition. Des intermédiaires étaient des acteurs importants dans la plupart des transactions. Les transactions fortuites étaient fréquentes dans l'expérience de tous les répondants. La protection était une motivation importante pour certains répondants, surtout chez les délinquants les plus endurcis de l'échantillon, mais pas aussi dominante qu'elle l'était dans les études antérieures. Plusieurs répondants ont plutôt expliqué que, souvent, ils avaient fait l'acquisition d'une arme à feu parce qu'ils étaient conscients qu'elle représentait une bonne affaire, parce qu'ils étaient des collectionneurs passionnés et prêts à investir dans des armes à feu sérieuses ou simplement parce qu'ils étaient attirés par le style et l'allure de l'arme ou la sensation qu'elle leur procurait au toucher. Les délinquants endurcis n'étaient pas les seuls consommateurs réguliers d'armes à feu. L'échantillon comprenait des jeunes délinquants et des délinquants plus âgés, des délinquants de milieux ruraux et urbains et des délinquants qui avaient été incarcérés pour un éventail de crimes. En outre, près de la moitié de l'échantillon était constituée de consommateurs d'armes à feu illégales qui n'avaient jamais été incarcérés. Il s'agissait de collectionneurs d'armes à feu libres et passionnés qui étaient prêts à en faire l'acquisition par des canaux illégaux s'il pouvait ainsi mettre la main sur une arme à feu difficile ou impossible à obtenir par des voies légales. Les délinquants plus organisés ont rapporté avoir un accès plus constant à des armes à feu illégales, mais la plupart des répondants ont déclaré avoir peu de difficulté à en trouver. Les répondants ont aussi décrit des expériences qui nous ont permis d'analyser comment les goûts se développent à mesure que les consommateurs connaissent de mieux en mieux les armes à feu et comment les armes à feu plus sérieuses et bien faites prennent le pas sur l'abondance d'armes à feu ordinaires et moins chères qui sont disponibles.

En plus de confirmer ces caractéristiques issues des études antérieures, les entretiens ont aussi révélé des constats qui n'étaient pas ressortis d'enquêtes antérieures sur les marchés des armes à feu illégales. En ce qui concerne l'accès aux armes à feu illégales, si la plupart des répondants ont acquis leur arme à feu par l'intermédiaire de contacts proches et fiables, d'autres ont fait part de leur expérience avec des fournisseurs fixes, en particulier les sources actives dans les réserves autochtones à proximité de Montréal. Ces marchands attirent beaucoup l'attention des forces de l'ordre et des médias, mais les rares répondants qui avaient eu des rapports dans le passé pour acquérir (ou essayer d'acquérir) une arme à feu de ces marchands clandestins ont décrit à quel point il avait été difficile d'établir un premier contact avec eux. Des répondants avaient attendu des mois avant de pouvoir solidifier une relation d'acheteur à fournisseur fiable et les répondants qui avaient eu accès à ces fournisseurs fixes avec beaucoup de facilité l'avaient fait en général par l'intermédiaire de leurs contacts criminels. Toutefois, pour le consommateur typique d'armes à feu illégales, il reste que les revendeurs actifs dans les réserves autochtones ne sont pas des fournisseurs courants ni des fournisseurs d'accès facile. Tel que mentionné, ces fournisseurs centralisés n'étaient pas la source la plus courante d'armes à feu. Cela n'était pas simplement dû aux difficultés d'entrer en rapport avec eux, mais surtout parce que les répondants étaient déjà bien exposés à un éventail de canaux pour acquérir des armes à feu. Une analyse des réseaux personnels a révélé, au cous de chacun des entretiens, que quelques répondants seulement avaient des réseaux fermés limités à un ou deux fournisseurs et que la plupart des répondants étaient capables d'acquérir des armes à feu par l'intermédiaire de réseaux ouverts ou de courtiers qui les mettaient en rapport avec un bon nombre de fournisseurs (dans des réseaux ouverts) ou d'intermédiaires fiables (dans des réseaux à courtage). C'était le cas tant pour les répondants en liberté que pour les répondants incarcérés de l'échantillon. Le fait que ces réseaux ouverts et ces réseaux à courtage étaient les plus courants donne à penser que même si les interventions des forces de l'ordre réussissaient à éliminer du marché des fournisseurs clés, les consommateurs pourraient s'adapter assez rapidement en passant par l'un ou l'autre des canaux auxquels ils ont accès.

Une analyse des choix ou préférences et des prix a révélé que les consommateurs dépendent en grande partie de ce qui est disponible dans leur réseau au moment de la transaction. Toutefois, cela variait selon le degré d'expérience et de connaissance que les répondants possédaient lors de leurs acquisitions respectives. Les acquéreurs plus expérimentés et passionnés étaient prêts à attendre plus longtemps et à payer plus cher pour l'arme à feu qu'ils désiraient. C'était particulièrement le cas des répondants libres qui étaient des collectionneurs d'armes à feu passionnés. Cependant, pour la plupart, les répondants ont simplement pris ce qui était disponible et payé ce qu'ils estimaient être le prix du marché pour une arme donnée. Quelques distinctions sont apparues toutefois, dans certaines situations opportunistes où le répondant s'est trouvé à jouir d'un pouvoir de négociation considérable sur la personne qui lui fournissait l'arme à feu, qui avait une dette envers lui ou qui avait grandement besoin de drogue. Bien entendu, ces situations privilégiées se produisent d'habitude avec des répondants qui sont lourdement impliqués dans des contextes de trafic de drogue. Ce n'était pas le cas de la plupart des répondants, ni même de la plupart des détenus.

Une dernière analyse a porté sur ce qui est advenu des armes à feu dont il était question dans les entretiens. Le quart des armes à feu ont été saisies par les policiers et une petite partie (4 %) avait été détruite par le répondant lui-même, ou ce dernier s'en était débarrassé, mais le quart des armes à feu avaient été remises en circulation par des reventes et près de la moitié des armes à feu étaient encore en la possession des répondants.

Il est important de prendre en compte ces résultats lors de l'élaboration de politiques et de pratiques d'application de la loi destinées à lutter contre le marché des armes à feu illégales. Fait qui pourrait être étonnant pour la plupart des responsables de l'application de la loi et de l'élaboration de politiques, les répondants étaient très peu renseignés sur l'origine des armes à feu qu'ils se procuraient et ils se souciaient très peu de savoir si elles avaient été utilisées dans des actes criminels. Ils prenaient toutefois soin de se distancer des armes qu'ils avaient personnellement utilisées pour commettre des actes criminels. Les répondants qui n'étaient pas incarcérés et qui n'étaient pas impliqués dans des actes criminels (au-delà, bien sûr, de la transaction visant l'arme à feu illégale) ont aussi révélé des précautions curieuses. Si leur participation dans le marché des armes à feu illégales était fondée sur la décision de contourner le processus d'enregistrement d'armes à feu légales qu'ils percevaient comme lent et lourd et sur leur désir d'ajouter à leur collection de types particuliers d'armes à feu qui étaient prohibées dans le contexte canadien, ils prenaient également soin de demeurer actifs dans le marché des armes à feu légales en achetant et en enregistrant une nouvelle arme à feu afin de montrer qu'ils respectaient encore les règles. Si nous ne voyons aucun moyen d'identifier ces acquéreurs qui chevauchent les marchés des armes à feu légales et illégales, les expériences qu'ils ont révélées semblent indiquer que le marché illégal n'est pas fréquenté que par la population criminelle. Bien entendu, cela est vrai de la plupart des économies des marchés noirs et clandestins.

Recommandations

1) La nécessité d'une enquête plus approfondie sur les acquisitions d'armes à feu illégales

De nombreux points soulevés et traités dans la présente étude nécessitent un examen plus poussé et la première recommandation concerne la nécessité d'une enquête plus approfondie sur les consommateurs d'armes à feu illégales incarcérés et libres. La présente étude a réussi à étayer des expériences et des caractéristiques importantes qui avaient été à peine abordées dans la recherche antérieure, mais pour bien saisir les facteurs et la dynamique qui déterminent le marché des armes à feu illégales, il serait préférable de mener une enquête au moyen d'un questionnaire élaboré auprès d'un échantillon plus nombreux et aléatoire de la population carcérale et d'un échantillonnage en boule de neige aléatoire de participants non incarcérés au marché des armes à feu illégales. La présente étude a donné lieu à la création de quelques outils utiles pour évaluer les prix de même que la nature et la taille des réseaux personnels utilisés pour acquérir des armes à feu illégales. Ces mesures pourraient permettre d'obtenir des estimations auprès de groupes plus nombreux que le petit échantillon examiné ici. Nous pourrions ainsi renforcer encore notre compréhension et confirmer si ce marché illégal est vraiment régi essentiellement par les canaux d'acquisition informels dont la prédominance a été révélée dans presque toutes les études menées dans ce domaine au cours des trois dernières décennies. L'obtention d'un portrait plus complet des prix et des facteurs qui déterminent les variations au sein d'un bassin plus vaste d'acquéreurs contribuera également à approfondir cette compréhension.

2) Le marché des armes à feu illégales transcende la population des grands délinquants

Il y a un stéréotype populaire du consommateur d'armes à feu illégales. On le perçoit comme un membre de gang menaçant, un membre du crime organisé ou un voleur à main armée à la recherche d'émotions fortes. Il est vrai que ces personnes sont nombreuses dans le marché des armes à feu illégales, comme elles l'étaient dans l'échantillon de la présente étude, mais les marchés des armes à feu illégales sont loin de se limiter à ces personnages stéréotypés.

L'intérêt accordé aux acquéreurs d'armes à feu illégales qui n'étaient pas incarcérés a révélé un segment important de ce marché, celui des acquéreurs d'armes à feu illégales « respectueux de la loi ». Il vaut effectivement la peine d'examiner plus à fond ce segment et il serait utile de déterminer à quel point cette forme de défiance de la loi est répandue chez des citoyens respectueux de la loi par ailleurs. La nature opportuniste et informelle des acquisitions d'armes à feu illégales donne à penser que ce segment est peut-être beaucoup plus important qu'on le croie couramment. Notre échantillon a puisé dans un groupe de collectionneurs d'armes à feu dont les goûts et les désirs semblent dépasser ce qui est disponible et autorisé dans la limite de la légalité. Nous pouvons supposer que d'autres consommateurs d'armes à feu, dont des chasseurs et des membres de clubs de tir, vont un jour chercher une arme plus grosse, plus puissante et plus intimidante à un certain stade dans leur expérience personnelle.

Le désir de posséder des armes prohibées n'est pas la seule caractéristique qui multiplie le nombre de citoyens autrement respectueux de la loi. Dans bien des cas, même des armes à feu ordinaires peuvent être cédées entre amis et membres de la parenté sans qu'il en soit fait mention à des sources officielles. Ces cessions sont peut-être plu probables dans les milieux ruraux où la culture des armes à feu est plus couramment associée au sport qu'à la criminalité, où il est un peu plus difficile de présenter une demande d'enregistrement en bonne et due forme à cause de l'accès moins commode aux renseignements et documents nécessaires et où les représentants des forces de l'ordre ont beaucoup plus de difficulté à exercer un contrôle systématique.

Les stéréotypes sont également loin de correspondre à la population délinquante. Notre étude a révélé qu'il y avait deux catégories générales de délinquants en ce qui a trait aux armes à feu : les délinquants qui sont quotidiennement à proximité des armes et les personnes qui ne deviennent délinquantes qu'après avoir acquis une arme à feu. Les délinquants de la première catégorie s'y connaissaient davantage en armes à feu et étaient donc plus intéressés à posséder des armes à feu puissantes qui correspondent aux images stéréotypées du membre de gang ou du crime organisé muni d'une arme semi-automatique. Parce qu'ils s'y connaissent davantage et parce qu'ils sont en contact avec d'autres personnes qui possèdent une expérience considérable, ces délinquants ont aussi une plus grande polyvalence pour acquérir des armes à feu dans des contextes opportunistes ou planifiés. La deuxième catégorie de délinquants connaissaient généralement moins les armes à feu et avaient typiquement été mêlés à une ou deux transactions illégales visant des armes de poing de petit calibre ou des armes destinées à la chasse. Pour ces délinquants, qui avaient généralement été incarcérés pour homicide, la disponibilité de ces armes dans des situations de conflit intenses avait abouti à des actes criminels pour lesquels ils allaient rester longtemps sous verrou. Il demeure étonnant que dans la mesure où la recherche sur la violence mettant en jeu des armes à feu a fait de cette « disponibilité ponctuelle » un élément clé dont il faut tenir compte lors de la rédaction de lois sur le contrôle des armes à feu, les chercheurs et les décideurs qui s'intéressent au marché des armes à feu n'aient pas incorporé cette caractéristique dans leurs propres cadres conceptuels. L'essentiel ici, c'est de retenir que si nous croyons que les délinquants sont les principaux acquéreurs d'armes à feu illégales, il n'en demeure pas moins que de nombreux délinquants n'avaient pas ce statut avant d'acquérir des armes à feu illégales. Par conséquent, si nous évaluons le statut de l'acquéreur avant et non après l'acte criminel qui allait aboutir à leur incarcération, nous verrions que le bassin des acquéreurs d'armes à feu illégales se compose de citoyens respectueux de la loi beaucoup plus nombreux que nos stéréotypes nous porteraient à le croire.

3) Surveillance de l'Internet et la transformation des réseaux d'armes à feu illégales

Un élément négligé lors de la préparation du plan de recherche de la présente étude est l'essor de l'Internet et comment il peut avoir transformé la façon dont les acheteurs et les vendeurs du marché des armes à feu illégales interagissent. Au moins deux répondants (R11 et R14) ont décrit comment ils ont utilisé des groupes de discussion sur Internet et des sites d'adeptes des armes à feu, non seulement pour se renseigner sur des armes, mais aussi pour chercher des armes rares et puissantes prohibées au Canada. L'Internet a aussi été associé à des évènements tragiques survenus au cours des dernières années au cours desquelles des armes à feu achetées sur le Web ont été utilisées dans des fusillades massives (ou potentiellement massives). Il est difficile à ce stade de déterminer l'importance que l'Internet a acquise en matière de transactions visant des armes à feu illégales et la recherche future devrait pousser l'examen plus loin, mais il est clair que, comme pour la plupart des aspects de la vie quotidienne, l'essor du cyberespace transformera les réseaux que des particuliers utilisent pour chercher des armes à feu ou en trouver de façon fortuite. L'accès à des fournisseurs s'en trouve nettement multiplié pour tous et comme l'expérience de R14 en témoigne, les babillards et d'autres groupes de discussion servent d'intermédiaires clés à ceux qui cherchent des armes particulières.

Pour ce marché illégal, l'Internet crée un point de convergence populaire grâce auquel les acheteurs et les vendeurs ont accès à un bassin beaucoup plus vaste d'armes à feu que celui auquel ils auraient eu accès si les participants du marché avaient été limités à leurs réseaux traditionnels d'amis et de contacts dignes de confiance. L'Internet augmente la concurrence sur le marché. L'analogie peut-être la plus proche qu'il serait possible de faire dans la présente étude concerne la variété des armes à feu qui ont été acquises dans des réserves autochtones, où les fournisseurs ont le privilège de fonctionner dans un environnement relativement sans frontières. La transposition du facteur « Internet » dans le marché des armes à feu illégales met non seulement une plus grande variété d'armes à feu à portée de main du consommateur, elle a aussi le potentiel de réduire le fournisseur des réserves autochtones à l'obsolescence dans un proche avenir.

4) Le ciblage stratégique est futile dans un marché décentralisé, mais l'amnistie peut donner de bons résultats

Les répondants ont décrit des expériences dans lesquelles ils ont eu accès à une multitude de fournisseurs et d'intermédiaires pour acquérir illégalement des armes à feu. Cela nous porte à croire que le marché est largement décentralisé autour de contacts informels et non centralisé autour de revendeurs importants. Contrairement à de rares études menées dans des administrations des États-Unis, aucune source ponctuelle centralisée ne ressort des descriptions de cas vécus au Québec que nous avons recueillies au cours de la présente étude. Exception faite de quelques expériences dans lesquelles des acquéreurs ont réussi et échoué à acheter des armes à feu auprès de fournisseurs dans les réserves autochtones, le gros des transactions a eu lieu par l'intermédiaire de proches, souvent dans des situations fortuites, non planifiées. Il est impossible de repérer ou de prévenir de telles situations au moyen de stratégies ciblées qui mettent l'accent sur les fournisseurs soupçonnés d'être des acteurs clés dans le marché.

Le fait demeure qu'il n'y a pas d'acteurs clés dans un tel marché et que des contrôles aléatoires sont plus susceptibles de permettre la détection des acquisitions typiques d'armes à feu illégales. Comme dans la plupart des marchés illégaux, les forces de l'ordre sont aux prises avec une situation où le marché illégal est structuré autour de mécanismes informels d'offre et de demande qu'il est impossible de juguler à moins d'augmenter le ciblage aléatoire à des niveaux qui correspondent aux taux des transactions. Les forces policières ne disposent simplement pas (et ne devraient pas disposer) des ressources nécessaires pour contrôler un quelconque marché à ce point. Donc, au lieu de cibler leurs interventions de façon hautement aléatoire, les responsables des forces de l'ordre investissent leurs ressources de façon à intercepter le gros chargement occasionnel, dans l'espoir que l'élimination des armes à feu avant leur entrée sur le marché réduise le bassin global auquel les consommateurs ont accès. Toutefois, les armes sont différentes des drogues. Elles durent plus longtemps et elles sont facilement mises en circulation par des canaux informels. Les saisies de chargements importants d'armes à feu par la police ne seront efficaces que si le bassin des armes déjà en circulation est réduit de façon appréciable. Il faut exercer un contrôle continu sur la circulation des armes à feu qui entrent sur le marché et mettre en œuvre une stratégie efficace pour réduire les stocks d'armes déjà en circulation.

Une pratique que les décideurs pourraient envisager pour régler ce dernier problème consiste en des journées mensuelles d'amnistie provinciales ou nationales (p. ex. le premier dimanche de chaque mois) au cours desquelles les propriétaires d'armes à feu illégales sont autorisés à laisser leurs armes à feu au point de dépôt le plus près, en toute confidentialité, sans se faire poser de questions. De toute évidence, cette approche n'augmentera pas le nombre d'arrestations faites dans ce marché, mais elle réduira assurément de façon appréciable l'inventaire des armes à feu illégales.

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Notes

1 Les quatre répondants qui n'ont rapporté qu'une transaction ont été exclus de cette analyse.

2 Les prix courants sont fondés sur ceux fournis dans différents sites Web d'armes à feu, comme le Gun Directory (www.e-gun.net) ou le site Guns and Ammo (www.gunsandammo.com). Ces prix sont valables pour 2010, d'après le marché américain, et pour des armes neuves, mais il était important d'utiliser une source courante aux fins de notre exercice de manière à voir une indication systématique de la nature des marchés conclus sur le marché illégal. Pour certaines armes à feu qui ne sont plus en production, nous avons obtenu des prix sur le marché de l'usagé auprès de différentes sources Internet.

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